Le pétrole coule, la lutte continue

Au moment où l’avenir du projet d’oléoduc Énergie Est fait les manchettes depuis quelques semaines, les opposants au pipeline de ligne 9B d’Enbridge, pris entre l’espoir et la colère, appellent à la poursuite de la lutte contre la pétrolière et son installation.

Que ce soit par les voies politique et juridique ou par l’action citoyenne directe, il faut continuer à se battre contre Enbridge et le transport de pétrole bitumineux dans la ligne 9B. C’est du moins le message qu’a envoyé un panel d’opposants venant de l’Ontario et du Québec réunis pour une conférence au Cœur des sciences de l’UQAM le 12 février.

«Nous sommes à un moment critique, a lancé George Henry, conseiller de bande pour la Nation Chippewa de la Thames. C’est une question de sécurité et de santé publique.» Les membres de cette nation ojibwée du sud-est de l’Ontario ont déposé un recours contre Enbridge devant la Cour suprême parce qu’ils estiment qu’on ne les a pas consultés suffisamment, notamment par rapport à l’inversion du flux de la ligne 9B. « [Le gouvernement Harper] a nommé un comité de consultation et d’accommodation à l’Office national de l’énergie (ONE) pour aller rencontrer les gens. Ce comité ne consultait personne, il ne faisait que signifier aux gens touchés que le pipeline passerait, » explique le conseiller autochtone.

Patricia Domingos, en plus d’être une fervente opposante à la ligne 9B d’Enbridge, est l’ancienne mairesse de Sainte-Justine-de-Newton, près de la frontière ontarienne. C’est d’ailleurs la seule municipalité traversée par la ligne 9B à avoir refusé les subventions d’Enbridge. Même si l’ancienne politicienne accuse Enbridge de s’être «moquée» des conseillers municipaux de Sainte-Justine-de-Newton, elle a aussi son lot de reproches envers l’ONE. «Je peux vous dire que, bien qu’Enbridge ait eu le feu vert, il y a encore beaucoup de conditions [fixées par l’ONE] qui ne sont toujours pas remplies», décrie Patricia Domingos. Elle souligne notamment le fait qu’Enbridge n’a pas de plan d’urgence concret en cas de déversement. Des changements intérimaires ont été apportés au processus d’évaluation de l’ONE en janvier en attendant une réforme complète de l’organisme.

Passer à l’action pour faire passer le message

La voie des tribunaux et des réformes politiques des organismes comme l’ONE ne satisfait pas tout le monde. C’est le cas de Jean Léger, un militant écologiste qui s’est enchaîné à ligne 9B pendant dix heures en décembre 2015, une action qui aurait coûté quelque cinq millions de dollars à Enbridge. «On est rendu au bout du processus, d’après moi, ça n’a plus rapport avec les procédures légales. L’avenir est dans l’action directe. Si nous voulons nous affranchir de quoi que ce soit à l’avenir, c’est par l’action directe. Des actions pacifiques, mais fermes», clame le militant.

Vanessa Gray, membre de la Première Nation Aamjiwnaang en Ontario, s’est elle aussi enchaînée à la ligne 9B en guise de protestation à la fin de 2015. Cependant, elle s’attaque également au «racisme environnemental» dont elle et sa communauté sont victimes en plus des activités de la pétrolière albertaine. «Si quelqu’un s’enchaîne à un pipeline, l’État est plus intéressé à protéger les intérêts d’Enbridge que les peuples autochtones et leur droit à l’air pur», dénonce la jeune activiste.

La lumière au bout du tuyau

Même si le flux de la ligne 9B a été inversé et que la quantité de barils de pétrole qui y circulent augmente, les opposants ont bon espoir de voir leur lutte contre Enbridge porter fruit.

Vanessa Gray demeure optimiste, même si elle fait face à plusieurs accusations pour son geste de protestation de l’an dernier. «Les corps policiers sont contre moi et du côté des compagnies pétrolières, mais je ne me suis jamais sentie aussi encouragée et appuyée dans ma lutte grâce à toutes les personnes qui m’appuient et qui s’intéressent au problème des sables bitumineux, explique la militante autochtone. J’ai espoir que ceux qui veulent faire une différence peuvent faire une différence,» renchérit-elle.

S’il préconise une action citoyenne plus directe, Jean Léger se réjouit toutefois de voir le changement de discours de la classe politique vis-à-vis les pipelines. «Quand on parlait d’oléoducs à nos conseillers municipaux, c’est comme si on parlait chinois. Alors quand j’entends depuis un an [le maire de Laval] Marc Demers parler des sept générations, je tombe le cul par terre parce que lui-même ne faisait pas état de ça auparavant. C’est le genre de discours qu’on n’entendait pas il y a un an», relate-t-il.

George Henry a également bon espoir que sa communauté obtiendra gain de cause. «Les textes de loi nous donnent raison», affirme George Henry, en faisant référence à la section 35 de la Constitution qui reconnaît «les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada […]». Favorables à la reconnaissance des droits autochtones, certaines décisions récentes de la Cour  font également croire que le plus haut tribunal canadien donnera raison aux Chippewas et ce, même si le conseiller autochtone estime que bien des politiciens ont cherché à contourner la section 35 de la Constitution depuis son entrée en vigueur en 1982.

Photo: Rick Cognyl-Fournier

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