Entrevue | Dead Obies, plus grand que nature

Dead Obies a vu grand pour la réalisation de son deuxième album. Le 4 mars prochain, la formation de rap montréalaise ne lance rien de moins qu’une «œuvre d’art totale» avec l’opus Gesamtkunstwerk. Ce mot allemand cristallise leur version méticuleuse d’une œuvre idéalisée, qui transcende le médium en mélangeant les formes d’expression artistiques. On ne pouvait pas s’attendre à moins de ceux qui ont présenté trois ans plus tôt l’album Montréal $ud, louangé par la critique. Le groupe franglais prouve encore une fois la pertinence de son rap. Entretien avec trois des six membres.

Montréal Campus : Gesamtkunstwerk a été enregistré en partie en studio et en partie devant public à l’automne lors d’une série de trois spectacles au Centre Phi. Est-ce que l’idée d’œuvre d’art totale était déjà claire pour vous à l’époque?

Yes McCan : On avait booké une équipe documentaire pour nous suivre pendant qu’on faisait l’album. Dès le départ, il y avait la volonté d’inverser le focus sur le derrière la scène et de «dé-mythologiser» le processus. On voulait retourner l’intérêt vers le public, parce qu’il n’y a pas de spectacle sans spectateurs. C’est un collaborateur qui a proposé le nom Gesamtkunstwerk parce que ça lui faisait penser à ce concept qu’il avait vu lorsqu’il étudiait les beaux-arts. Ça n’a pas passé tout de suite. On s’est obstinés entre nous parce qu’on trouvait que ça n’avait pas d’allure et que c’était dur à retenir. Finalement, on l’a vu d’une autre manière. C‘est un mot qui s’imprègne. Il n’évoque pas de concept déjà établi dans la tête des gens. Ça, c’est intéressant. 

Jo RCA : Aussitôt qu’on a lu des définitions du mot, on a compris que ça faisait partie du concept. En fait, ça faisait déjà partie du projet.

20Some : C’est venu clarifier notre idée. C’était déjà prévu d’intégrer le public. Comme d’habitude, on a pensé beaucoup à notre affaire et à chaque détail. Comment on allait faire pour enregistrer en live, les vox pop, les photos, le documentaire… C’était ambitieux et un peu épeurant. On s’est souvent demandé si on s’était embarqués dans quelque chose de trop gros qui ne fonctionnerait pas. Au final, on a vu tout ça gonfler et prendre de l’ampleur.

Jo RCA : Ç’a été payant de faire ça parce que l’album est teinté de ces trois show-là. C’est ça qui en fait un projet d’envergure. Ça a marché the shit!

Montréal Campus : Vous avez utilisé le public pour peaufiner les chansons sur l’album, mais aussi pour en faire la promotion. Qu’est-ce qui vous intéressait dans l’emploi de l’image des spectateurs?

Yes McCan : Il y avait l’intention que la démarche de marchandisation soit incorporée dans le discours de l’album. C’est une des facettes où l’on traite de la société du spectacle en général. On expose cette notion-là de se mettre en spectacle, de voir la vie comme un spectacle ou d’être intéressé plus par l’image que par le réel. C’est un phénomène qui existe aujourd’hui. Il se passe un événement à Montréal et les gens trouvent les photos sur les blogues le lendemain et se tagguent. C’est plus à propos de qui était là, que de ce qui se passait.

Montréal Campus : Justement, sur la pochette de l’album on peut voir une spectatrice qui se prend en selfie.

20Some : Cette photo du public est devenue la pochette parce qu’elle est trop évocatrice. On aurait voulu le stager et ça n’aurait pas donné ça. Pour moi, c’est proche d’être parfait. Ça représente cette idée de se mettre en spectacle pour vrai et de créer une image qui est plus réelle que la réalité.

Montréal Campus : Est-ce que c’est le fil conducteur de Gesamtkunstwerk?

Yes McCan : Pour moi, c’est l’opposition entre le vrai et le faux. Dans les chansons, tu peux identifier ces thèmes-là, comme tu peux l’écouter et trouver que c’est une toune qui parle de chiller et qui ne dit pas grand-chose. Mais tout à coup, tu vas entendre une phrase qui ramène cette idée-là. Ce sont des notions que tu peux souligner dans le texte. On a vraiment travaillé pour ne pas que ça devienne lourd, mais que ça soit une impression qui s’y dégage.

Montréal Campus : Vous proposez un album avec un nouveau son plus léché. Les raps sont courts et côtoient des refrains mélodieux. Vous aviez l’intention de faire de la musique plus accessible?

20Some : Contrairement à Montréal $ud, on voulait faire un album ou chaque chanson peut vivre par elle-même sans s’appuyer sur les autres dans un récit narratif. On voulait un album qui pouvait s’écouter sur shuffle. Une des manières de faire a été de créer des chansons qui ont leur propre refrain et qui ont une structure plus pop. On a cherché à avoir des verses plus simples parce qu’il y a une force à avoir des lignes catchy que tu retiens.

Yes McCan : J’aime plus la façon dont les chansons sont faites sur le nouvel album. Elles ressemblent beaucoup plus à la musique que j’écoute et qui me fait vibrer. Il y a 4 ans, quand on faisait Montréal $ud, j’étais moins apte à réaliser ce que je voulais entendre.

20some : Notre manière de travailler a vraiment évolué depuis le premier album. Le fait qu’on a maintenant notre propre studio a permis aussi que les chansons se matérialisent plus vite dans nos têtes.

Yes McCan : C’est notre chalet dans « hochelag ».

Montréal Campus : Quelles sont vos lignes préférées dans l’album?

Jo RCA : Je te dirais… tous les verses. Tout le monde a nailed des trucs fous! Je suis super fier d’entendre les musiciens et les choristes chanter avec nous des paroles qu’on avait écrites et imaginées des mois à l’avance. Lorsqu’on entend des lignes de la bouche d’une autre personne, c’est toujours plus real.

Montréal Campus : Tu parles de Kalmunity qui vous accompagnait sur scène au Centre Phi?

Yes McCan : On est vraiment contents d’avoir travaillé avec eux. C’est le meilleur band de street music à Montréal.

Montréal Campus : Vous avez fait un gros pari en vous lançant dans un projet avec autant de paramètres, mais selon vous c’est réussi?

20Some : Je trouvais qu’on avait un très cool concept et je pense que le concept va au-delà que ce que l’on croyait. Il y a quelque chose de subtil qui s’est matérialisé dans les six derniers mois. J’ai été étonné de voir comment cet univers-là s’est articulé et auto-influencé. La photo a nourri le clip, qui a nourri autre chose, etc. Je trouve qu’il y a quelque chose de mieux que ce que je pensais. En fait, je suis surpris d’où ça nous a amenés.

Gesamtkunstwerk de Dead Obies sort le 4 mars prochain. Le groupe sera en spectacle le 10 mars au National pour le lancement de leur tournée.

Photo : German Moreno / Bonsound

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