Les corps dominés n’ont aucun intérêt | Critique de la pièce Et quand vient le silence

Des esprits libres dans des corps libres. Voilà ce qui pourrait définir le collectif Grande surface et sa première pièce professionnelle Et quand vient le silence (On se rend compte que personne n’avait rien d’important à raconter). Un défouloir déjanté qui n’a rien à envier aux productions plus expérimentées.

À première vue, le sujet de la pièce est incontestablement la recherche de sens à l’heure de la surconsommation, notamment grâce à ce décor se référant au Costco classique. L’acteur Jérôme Bédard est celui qui nous le rappelle plus, incarnant ce campeur nostalgique des hommes des cavernes caressant les nuages, ou ce mangeur de beignes se filmant méthodiquement à tous les jours en attendant la mort. Mais la critique n’est pas contenue que dans le texte, loin de là.

C’est avant tout la présence physique des acteurs, affirmant leur liberté par la maîtrise de leurs corps qui dérange le plus. Quand Mickaël Tétrault-Ménard et Audrey Leblanc se confrontent dans un combat, enroulés dans du papier bulle, ou encore quand Véronique Lachance se fait dessiner numériquement sur l’écran du fond de la salle, ce qui s’en dégage c’est une maîtrise complète du corps, un point en l’air face à toutes les forces voulant nous dominer et prendre contrôle de notre personnalité. Les nostalgiques de la pièce Mommy d’Olivier Choinière seront ravis. C’est cette même folie qu’on retrouve de la part du collectif Grande surface, la même énergie.

Quitter la salle du Théâtre La Chapelle après la représentation de la pièce est une expérience en soi. Il faut tout d’abord retirer les confettis posés sur nos vêtements, puis tenter d’éviter le plancher collant, recouvert de sirop au chocolat et de terre. C’est que Et quand vient le silence est avant tout une expérience physique, les acteurs ayant confiance non seulement en leurs moyens mais aussi en leurs coéquipiers.

Une première production ne peut évidemment être parfaite et celle-ci n’échappe pas à la règle. Ici, une transition semble au ralenti pour donner le temps aux comédiens de changer de costume, là, une scène a un petit deux minutes de trop, les spectateurs décrochent (la bataille de papier bulle).

C’est à peu près tout ce qu’on pourrait reprocher à la pièce, car les acteurs deviennent tellement attachants, avec ce plaisir qu’ils ont à jouer, qu’on voudrait tous leur parler, les prendre dans nos bras. De leur dire de continuer à jouer, de naviguer dans cette folie, de rester libre. Et surtout de ne pas se conformer, comme le dit si bien l’étrange animal marchant lors de la dernière scène, de s’enraciner dans cette contreculture. Les paysages dominés n’ont aucun intérêt.

Photo: Marc Bruxelle

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