Sous le bitume, les billets ! | Chronique Société

Le seul bénéfice écologique à retirer de l’Accord de Paris sera obtenu en lançant ses 31 pages dans le bac de recyclage.

Certes, l’accord est «historique»; jamais auparavant 195 États n’avaient réussi à trouver un terrain d’entente. Avec les objectifs de réduction fixés au Bourget, on se dirige toutefois vers une hausse globale des températures de 3°C, même si théoriquement on souhaite garder le cap sur la limite viable des 2°C. L’accord n’entrera en vigueur qu’en 2020, et les moyens pour y parvenir sont flous, comme voilés par un écran de fumée opaque.

Il faudra attendre les 90 jours suivant la conclusion de l’accord avant de connaître le plan d’action canadien. Faute de temps, notre pays s’est présenté aux tables de négociation avec les objectifs établis par un ancien gouvernement pro-pétrole qui claqué la porte de Kyoto en 2011, sabré les budgets de recherche environnementale et muselé ses scientifiques. Ajoutez à cela que Justin Trudeau veut nous faire avaler qu’il saura exploiter le pétrole le plus sale du monde «de façon responsable», en soutenant du même souffle que le pays n’en est pas à passer outre les énergies fossiles.

Près de 55 millions de tonnes de GES sont émises par l’exploitation de nos sables bitumineux chaque année. Pour nous rassurer, l’Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP) rappelle que son bilan de GES n’équivaut qu’à 3,5% des émissions enregistrées en 2009 par le secteur américain des centrales au charbon. Ces chiffres ne tiennent pas compte des GES relâchés dans l’atmosphère lorsque pétrole et charbon sont consommés – il faut pour cela tripler les émissions de la production.

Les gouvernements ont beau brandir fièrement des objectifs de réduction (ambitieux ou non), je comprends mal ce que les David de l’environnement peuvent contre les Goliath de l’énergie fossile. On veut atteindre les 100 % d’énergie renouvelable ? Quand les industries canadiennes du pétrole et du gaz représentent à elles seules 192 000 emplois ? Quand des pays comme l’Arabie Saoudite (41% du PIB en 2014) dépendent foncièrement de la production du pétrole ? Laissez-moi rire. Le Canada a signé alors qu’il a les mains liées par 73 000 km de pipelines. François Hollande peut proclamer que la COP21 est «la plus belle et la plus pacifique des révolutions», les États continueront de cautionner l’exploitation des fossiles, les producteurs continueront de produire, et ainsi va l’économie.

Parlez argent

Tout n’est cependant pas noir ou vert. Tranquillement, on assiste au désinvestissement des bourses fossiles. La fondation des frères Rockefeller a retiré l’an dernier 50 milliards $ de ses placements pétroliers, et plus récemment, la Norvège a indiqué qu’elle retirait son fonds souverain – le plus gros du monde, évalué à 1114 milliards $ – du secteur du charbon.

L’American Petroleum Institute (API) note qu’entre 2000 et 2005, les pétrolières internationales ExxonMobil, Shell, BP, ChevronTexaco et ConocoPhillips ont investi 100 milliards $ dans les énergies alternatives et les technologies émergentes, soit le quart des profits réalisés durant cette période. Et ce, bien avant qu’il soit question de «conférence de la dernière chance». Peut-on attribuer ces investissements à une conscience écologique (quasi) avant-gardiste des pétrolières ? Parlez plutôt de visionnaires de la finance. Les rois du bitume ont depuis longtemps réalisé que l’écueil financier de l’exploitation pétrolière point à l’horizon, et tentent d’éviter d’être noyés par le ressac de l’or noir.

S’il est rassurant de constater que le monde entier s’entend pour dire qu’il faut agir, la question est loin d’être réglée; rappelons que les précédents accords n’ont porté que des fruits desséchés. Le sauvetage de la planète est possible, mais il faut oublier les vagues objectifs de réduction sans mode d’emploi clair.

Citoyens, continuez de militer; j’ose croire que vos ferventes revendications ont forcé nos dirigeants à s’assoir 13 jours durant pour parler vert. Mais faites pression pour qu’on fasse la transition vers de nouveaux modèles économiques. Qu’ils remplacent la carotte par les billets.

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *