Une perle rare au rancart

La momie égyptienne de l’UQAM, artéfact de valeur historique et éducative immense, se fait extremement discrète. Si bien que peu d’étudiants sont au courant de l’existence de cette grande dame oubliée.

Rares sont ceux qui ont eu la chance de voir Hetep-Bastet. Immobile, enroulée dans ses bandelettes et couverte d’un linceul en jute brunâtre retenu par cinq cordes, elle dort depuis presque une éternité déjà. Il est difficile de discerner les traits de son visage, mais sa silhouette est toujours définie. Hetep-Bastet n’est plus jeune. Elle en a vu de toutes les couleurs depuis son arrivée au Québec en partance de l’Égypte. Malgré toutes les péripéties qu’elle a surmontées, la momie est considérée dans un excellent état pour son âge. Près d’elle gît son cercueil en bois recouvert de peinture aux couleurs vives représentant fleurs, hiéroglyphes et dieux grecs.

La momie égyptienne Hetep-Bastet et son sarcophage, propriétés de l’UQAM assurées pour une valeur de 200000$, reposent dans une chambre de préservation du Centre de collections muséales sur la rue Peel, bien à l’abri des regards. C’est ce qu’assurent la directrice et la conservatrice de la Galerie de l’UQAM, Louise Déry et Audrey Genois. «Ça prend un contexte particulier pour la sortir et il manque de fonds pour avoir un musée universitaire développé», explique Louise Déry. L’UQAM est fière de sa pièce de collection, mais n’arrive pas à débloquer le financement pour fournir l’équipement sécuritaire pour l’exposer en public. Ceux qui l’ont vue affirment qu’elle «inspire la solennité» et que la rencontrer en tête-à-tête est une expérience très intime, beaucoup plus qu’au musée, selon Audrey Genois. Une histoire haute en couleur se cache derrière ce mystérieux artéfact qui n’est pas sorti de sa voûte depuis sa tournée aux États-Unis en 2010.

Parcours hors du commun

Hetep-Bastet a vécu 600 ans av. J.-C. et provient de Memphis au nord de l’Égypte. «La qualité des peintures et des hiéroglyphes sur son sarcophage révèle qu’il s’agit d’une femme de la bourgeoisie égyptienne, mais pas de famille royale», précise le professeur à l’UQAM chargé du design de l’exposition Tombes éternelles – L’Égypte ancienne de l’au-delà au Musée des civilisations en 2009, Philippe Lupien. L’examen du radiologiste Pierre Robillard en 1997 révèle qu’elle avait une

blessure au fémur gauche et est décédée vers l’âge de 65 ans. Ses abcès dentaires ont poussé Pierre Robillard à conclure qu’elle aimait bien la bière. Une analyse plus récente de l’anthropologue de l’Université de Western, Andrew Nelson, utilisant une nouvelle technique de numérisation, montre plutôt qu’elle serait décédée vers 40 ans. Réalisée en 2008, l’étude raconte que son alimentation haute en glucides et le sable contenu dans le pain auraient occasionné ses problèmes buccaux et qu’il ne s’agirait pas du houblon. L’âge vénérable de Hetep-Bastet demeure toutefois un exploit, puisqu’à l’époque, la longévité moyenne était de 20 ans.

Passage cahoteux à l’École des Beaux-Arts

Le Musée du Caire a offert la momie et son sarcophage en cadeau à l’École des beaux-arts de Montréal lors de son inauguration en 1927. Dès son arrivée, elle a été placée sous un coffre de verre en haut de l’escalier du hall principal. «C’était vraiment la mascotte de l’École des Beaux-Arts», mentionne Louise Déry avec amusement. Une quarantaine d’années paisibles ont passé avant que la momie ne soit violemment sortie de son sommeil, en pleine crise étudiante de 1968, lorsqu’un jeune, sous les effets d’une drogue non-identifiée, s’en est pris à Hetep-Bastet qui représen- tait «les valeurs du passé». La momie a été projetée en bas du premier étage et a éclaté en centaines de morceaux.

Hetep-Bastet, la vedette

La momie est devenue la propriété de l’UQAM en 1969 lorsque l’Université du peuple a été créée avec le regroupement de l’École des Beaux- Arts, le Collège Ste-Marie et trois autres écoles. Un an à peine après son arrivée, la momie a été de nouveau victime de vandalisme par un étudiant qui s’en est pris au sarcophage. Les dommages ont été considérables, mais il a fallu attendre jusqu’en 1996 pour que Hetep-Bastet soit restaurée pour l’enregistrement du documentaire de Claude Laflamme, La République des arts: la malédiction d’une momie, qui porte sur les manifestations de 1968.

La momie est entrée à la Galerie de l’UQAM en 2003 lors de l’exposition sur la mort et l’immortalité de l’artiste arménien Sarkis. Six ans plus tard, Hetep-Bastet a été la tête d’affiche d’une exposition sur l’Égypte ancienne au Musée des civilisations de Gatineau composée de quelque 200 artéfacts du Musée des beaux-arts de Boston. «La momie dont les pieds, les os et la tête étaient brisés a été restaurée pour l’occasion», explique le chargé de projet du Musée des civilisations responsable de l’exposition, Steve Lévesque.

Reléguée aux oubliettes

«Son dernier voyage était en Arkansas lors d’une exposition en 2010 au Arts Center puis elle est retournée à sa caisse de conservation au Centre de collections muséales», mentionne Audrey Genois. Pour sa part, Louise Déry soutient que la momie est logée en dehors de l’UQAM dans une pièce sécurisée à température contrôlée à des fins de préservation. La Galerie UQAM aimerait toutefois sortir Hetep-Bastet de sa léthargie. «On prévoit créer une exposition spéciale avec Hetep-Bastet en 2017 dans le cadre du 375e anniversaire de la Ville de Montréal, mais la forme reste à être décidée», conclut Louise Déry. D’autres projets sont aussi sur la table dont un prêt à long terme à un musée canadien ou une possible restitution au Caire qui rapatrie de temps à autre ses momies dispersées à travers la planète. Hetep-Bastet pourrait bientôt devoir rentrer chez elle.

Crédit photo : François L. Delagrave, uqam.ca

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