Le Front tout le tour de la tête

Ardent défenseur du droit au logement, François Saillant milite depuis son adolescence pour diverses causes sociales. À l’aube d’une retraite bien méritée, le coordonnateur du FRAPRU s’entête à poursuivre le combat, contre vents et marées.

La douceur et le calme de François Saillant dissimulent la hardiesse dont il fait preuve dans sa lutte pour que plus d’individus vulnérables aient un toit au-dessus de la tête. S’exprimant de manière aussi franche que posée sur les thèmes sociaux qui l’interpellent, l’homme sobrement vêtu semble habité par une véritable force tranquille.

Diplômé en journalisme de l’Université Laval, l’activiste a rapidement pris ses distances des grands canaux médiatiques afin de s’impliquer dans divers groupes sociaux. Que ce soit dans le collectif avec lequel il a produit des vidéos sur les luttes populaires, au milieu des années 1970, ou au sein du mouvement marxiste-léniniste pour lequel il est ensuite devenu journaliste, François Saillant a toujours gardé en ligne de mire la question du logement.

Ayant lui-même vécu une situation de précarité, le coordonnateur du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) admet avoir été sensibilisé très tôt à la cause. Derrière sa monture argentée, son regard s’attendrit alors qu’il décrit les problèmes de logement qui remontent à son enfance. «Ma première maison, du plus loin que je me rappelle, a été démolie juste après notre déménagement, explique-t-il. Il y avait des rats un peu partout ; c’était vraiment un taudis ! Même pour un enfant, ça éveille la conscience.»

François Saillant a adhéré aux rangs du FRAPRU quelques mois à peine après sa création, à l’automne 1978, ce qui en fait le plus ancien contributeur de l’organisme. «On m’aurait dit, au moment où je me suis joint au mouvement que j’y serais encore 36 ans plus tard, et je n’y aurais pas cru», avoue-t-il. Aujourd’hui, le militant sexagénaire se dit fier d’avoir contribué aussi longtemps à la cause, n’ayant jamais plié l’échine face aux politiques restreignant l’accès au logement. Fierté qu’il déclare avec une retenue empreinte de modestie. «Je ne dirais pas que j’ai joué un rôle mineur, mais beaucoup d’autres intervenants ont joué un rôle important au sein du mouvement», insiste-t-il.

En plus d’avoir contribué à la mise sur pied du Regroupement de solidarité avec les Autochtones, pendant la Crise d’Oka, François Saillant a cofondé avec Françoise David le parti Option citoyenne, des cendres duquel est né Québec solidaire en 2006. Bien qu’il se soit depuis retiré de la joute politique, le lauréat du Prix Droits et Libertés de 2002 combat toujours la négation des droits sociaux au quotidien.

À son avis, cet irrespect des droits s’est incarné récemment dans l’encadrement exagéré des manifestations. «Au FRAPRU, on ne donne jamais nos itinéraires et on est encore moins partants de le faire après l’adoption du règlement [P6] en 2012, explique-t-il, convaincu. D’autres organisations font la même chose que nous, et du moment où elles mettent le pied dans la rue, elles sont encerclées; on parle d’un véritable profilage politique.» François Saillant exprime d’ailleurs haut et fort son appui aux soulèvements étudiants récents, dans lesquels il puise un certain espoir. «Ce que les étudiants sont en train de faire présentement, c’est d’assumer une responsabilité que ma génération n’a pas assumée suffisamment», avance-t-il.

Un toit qui coule

Malgré les réussites passées du FRAPRU, la lutte est pourtant loin d’être terminée pour les défenseurs québécois du droit au logement. La publication du budget Leitão, le 26 mars, a provoqué une véritable onde de choc auprès des organismes sociaux de tout acabit. Il prévoit entre autres la diminution de 3000 à 1500 logements sociaux financés annuellement sous le programme provincial AccèsLogis. «Ce budget fait extrêmement mal, allègue François Saillant, d’une expression consternée. Il nous ramène 15 ans en arrière du point de vue des investissements provinciaux, et on ne sait pas où ça arrêtera.»

Le coordonnateur du FRAPRU souligne que les libéraux réintroduisent par le fait-même une formule des années 1990, qui consiste à louer des habitations sur le marché privé, pour y faire entrer des gens à faible revenu. «On reste dans une logique du profit qui nie le droit au logement de façon considérable, précise-t-il. Sans porter de jugement moral, il est évident que même un petit propriétaire-occupant qui veut se constituer un bas de laine n’est pas là pour faire la charité.» Le FRAPRU milite depuis plusieurs années pour extirper le maximum de logis de cette logique de marché, plaidant pour un financement plus important de l’État dans les initiatives à but non lucratif.

Le militant ne se gêne pas pour critiquer l’attitude des «idéologues de droite» du gouvernement libéral, qu’il trouve choquante et révoltante. «C’est pratiquement l’Institut économique de Montréal qui est au pouvoir! s’exclame-t-il, avec un sourire incrédule. On assiste à une révision en profondeur du rôle de l’État québécois, pour que ce qui existe encore de rôle social disparaisse, au profit d’un autre rôle, qui est celui de facilitateur des investissements privés.» Bien qu’il admette que sa dernière année de travail s’annonce peu réjouissante, François Saillant préfère éviter la voie du cynisme. «Ma colère est toujours plus forte que ma frustration, exprime-t-il. Le goût et la détermination de faire quelque chose sont encore présents.»

Crédit photo : Félix Deschênes

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