L’expression mur à mur

Vandalisme aux yeux de l’administration uqamienne et vecteur artistique de revendication pour certains étudiants, le graffiti revêt des significations multiples à l’Université du peuple.

Quiconque louvoie dans les corridors des pavillons Judith-Jasmin et Hubert-Aquin s’expose aux couleurs criardes des fresques, dessins et écritures engagés qui recouvrent les murs. Si ces messages à caractère politique s’accumulent toujours en son sein, l’UQAM leur voue pourtant une guerre continue.

Le nettoyage des graffitis s’effectue par périodes, explique le technicien en aménagement au Service des immeubles et de l’équipement de l’UQAM, Piero Facchin. «En ce moment, on fait un petit blitz aux cinquième, sixième et septième étages du pavillon Judith-Jasmin», indique-t-il. Au pavillon Sherbrooke, les vestiges du printemps érable ont été retirés l’été dernier.

Une question d’appropriation

Un étudiant en éducation, qui préfère conserver l’anonymat pour éviter des représailles, considère important d’investir son milieu de vie et de se réapproprier l’espace pour «se détacher de l’idée de “consommer” ses cours». Selon lui, tout espace comporte une portée politique et la pratique du graffiti s’inscrit dans cette logique. «Je trouve que les murs gris et les néons blancs, c’est laid! s’exclame l’étudiant. Ça participe à ce qu’on pourrait appeler le “dépressionnisme”, c’est-à-dire une série de mesures délibérées faisant en sorte de ne pas nous y faire sentir chez nous.»

Pour les employés du service des immeubles, un graffiti représente une charge de travail en trop. «Il s’agit d’un travail dont on pourrait se passer, Piero Facchin. Il y a seulement trois peintres pour toute l’UQAM, donc si on considère que le campus est formé de 26 bâtiments, ils n’ont pas le temps de chômer!»

L’idée d’une «réappropriation des espaces collectifs» est à la genèse de désaccords. «Ce dont il faut se rappeler, c’est que l’UQAM appartient à tout le monde, avance Piero Facchin. On peut bien sûr personnaliser des espaces, mais de là à dire qu’on se les approprie, il manque un acte de vente!» À son avis, il est important que les règles sur la «protection des biens» restent strictes pour garder une certaine propreté dans l’enceinte uqamienne. «Toute sorte de monde passe par l’université, fait-il valoir. Il y a des étudiants, des employés et des gens qui peuvent vouloir investir dans des fonds de recherche, par exemple. On doit essayer de maintenir une présence aussi impeccable que possible.»

La politique de l’université en matière d’affichage et d’expression considère comme un «débordement» tout graffiti sur les murs. Au cours de la dernière décennie, l’UQAM a toutefois conclu une entente tacite avec les associations étudiantes pour autoriser l’expression libre sur certains murs situés à proximité du Café Aquin. «Aucun propos diffamatoire, haineux ou raciste n’est accepté, rappelle néanmoins la directrice des relations de presse à l’UQAM, Jennifer Desrochers. Le cas échéant, un nettoyage est fait sur le champ.»

Le cas spécifique de l’UQAM

Un tel arrangement n’est pas chose courante sur les campus québécois. À l’Université de Montréal, par exemple, aucun espace n’est dédié aux graffitis. Il en va de même pour l’Université Concordia, en dehors de certaines initiatives conjointes avec sa Faculté des beaux-arts. Pour sa part, l’Université Laval propose un programme de fresques dans ses couloirs souterrains, mais chaque projet retenu est encadré et doit être dûment autorisé par le Bureau de la vie étudiante.

La professeure au Département des sciences juridiques à l’UQAM et ex-présidente de la Ligue des droits et libertés, Lucie Lemonde, souligne que la réglementation uqamienne «s’approche plus de l’esprit de la jurisprudence» québécoise que celle des autres universités. L’avocate fait référence à l’acquittement de l’activiste montréalais Jaggi Singh, dont la défense reposait sur le manque d’espaces libres à l’affichage dans la métropole. Lucie Lemonde juge toutefois que la réglementation de l’UQAM pourrait se conformer davantage aux jugements récents concernant la liberté d’expression. «Il y aurait lieu de négocier pour qu’il y ait plus d’endroits dédiés [à l’expression libre], croit la professeure. L’Université pourrait au moins autoriser un espace dans chaque pavillon, par exemple.» Jennifer Desrochers fait savoir que cette solution n’est pas envisagée par l’administration pour l’instant.

Certains doutent qu’une telle proposition enraye la pratique du graffiti en des lieux non autorisés. L’étudiante à la propédeutique pour la maîtrise en sociologie, Marie-Pier Beaudet-Guillemette, estime que l’ajout d’espaces dédiés à l’expression dans l’UQAM est souhaitable, sans toutefois être une solution complète aux besoins d’expression libre. «Le graffiti prend pleinement son sens subversif et politique lorsqu’il est pratiqué à l’extérieur des endroits qui y sont attitrés», remarque-t-elle.

 

Crédit photo: Félix Deschênes

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