Après 1984

À Tombouctou, au Mali, «la liberté c’est l’esclavage», comme le dirait George Orwell. Les gens n’ont pas le droit de fumer la cigarette. Les femmes doivent, en plus de porter le voile pour couvrir l’indécence de leurs cheveux et de leur visage, avoir des gants et des chaussettes. Les sportifs et les musiciens seront fouettés. Un soldat obéissant au djihad détient le privilège de marier n’importe quelle jeune fille mineure. Et surtout, l’adultère est la pire chose qui soit. Ceux qui s’y adonnent seront condamnés à la mort par lapidation. Kidane, dégoûté par ce que sa ville est devenue, s’installe avec sa femme et sa jeune fille dans le désert, à quelques kilomètres de Tombouctou. La famille vit paisiblement dans sa tente, jusqu’au jour où leur vache sera abattue par un pêcheur.

Le cinéaste Abderrahmane Sissako se penche sur l’emprise terrorisante des djihadistes sur la vie des habitants d’un village. À Tombouctou, il ne manque que la technologie pour donner à cette terre aride et sanglante les allures du 1984 de George Orwell. Les similitudes sont évidentes entre les deux œuvres; la volonté de quelques citoyens, plus forte que la peur, de danser, de chanter, de rire, et d’être amoureux, malgré le danger et jusqu’à la mort.

Le scénario d’Abderrahmane Sissako présente certains passages fort marquants, surtout lorsqu’il met en scène des interactions avec les djihadistes imperturbables, impardonnables et cruels, qui appliquent la charia de façon sévère et brulante pour punir les insoumis. Néanmoins, les personnages manquent de profondeur, et certains sont gravement sous-utilisés. Malgré les thématiques très dramatiques du récit, on est forcé de rester à l’écart, à contempler cette œuvre de loin, avec une inévitable et intense frustration, mais sans grande empathie.

Parce qu’il y a cette étrange impression que tous les personnages agissent ici comme des instruments. Leur présence ne sert qu’à dévoiler des réalités cachées et injustes, ce qui accorde au film des allures indésirables de propagande anti-djihad. Tout semble avoir été orchestré, avec une subtilité mal dissimulée, pour dénoncer la brutalité et l’inhumanité de ces monstres sanguinaires, patriarcaux, et hypocrites. C’est peut-être le cas, mais le film, avec cette manière d’exposer la situation, ne marquera pas les esprits. Il ne fera qu’alimenter brièvement les frustrations, avant d’aller rejoindre la place qui lui est due, aux oubliettes.

 

Timbuktu, réalisé par Abderrahmane Sissako, France, Mauritanie, 97 minutes.

2.5/5

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