Être écouté à tout prix

Malgré le déclin de la vente de disques, certains artistes s’adaptent et gagnent à donner leur musique.

Le groupe Alaclair Ensemble offre sa musique gratuitement depuis ses débuts. Pour les sept rappeurs, il n’a jamais été question de vivre de leur art. L’un des membres, Ogden Ridjanovic, a rapidement réalisé les avantages que leur apportait la distribution gratuite de leurs chansons. «Tu n’as pas à gosser tes amis pour qu’ils partagent ou écoutent ce que tu fais, illustre-t-il. Dans nos spectacles, tout le monde connaît les paroles des chansons. Les gens sont sympathiques à notre cause et nous encouragent.»

Il est difficile d’ignorer les habitudes du pirate depuis la démocratisation du web et du MP3 dans les années 2000, selon le gérant et éditeur Guillaume Déziel. «Il est préférable de l’encadrer, croit-il. Au moins, il téléchargera la musique sur le site du band.» Selon lui, le marché est plus petit qu’il y a 10 ans alors que la musique est écoutée, qu’elle soit payée ou non. «Un artiste qui vend 4000 copies seulement peut tout de même faire partie du spectacle de la Saint-Jean-Baptiste», ajoute-t-il. Il a travaillé aux côtés de la formation électro-pop Misteur Valaire lors de la sortie de son album gratuit Friterday Night en 2007, une première au Québec. Ce modèle de marketing a su charmer les musiciens québécois: lors d’une expérience en 2012 par le biais du site Bandcamp, Guillaume Déziel a découvert que 74 % des 900 artistes québécois répertoriés flirtent avec la gratuité.

Pour diriger la stratégie marketing d’Alaclair Ensemble,Ogden Ridjanovic s’est fié à ses propres habitudes de consommateur. «Il y a cette mentalité d’avoir les choses rapidement. Moins il y a de clics, mieux c’est», constate-t-il. Les téléchargements gratuits sont habituellement échangés contre des adresses courriel. Pour réduire au minimum le nombre de gestes à poser à l’obtention du produit, le groupe ne demande rien en retour d’un téléchargement.

 

Vu et entendu

Il en reste que pour vivre de ses chansons, l’artiste doit se faire de l’argent, à une étape ou l’autre. La chef des affaires du Québec à la SOCAN, Geneviève Côté, souligne que la musique n’est jamais réellement donnée. «On l’échange contre de la promotion, un service, de la visibilité, etc.» Barbara Finck-Beccafico, la cofondatrice de la liste de Noël Poulet Neige, partage cette idée. Depuis 2010, elle contacte ses coups de cœur chaque année pour les convaincre d’offrir un de leurs albums pour les Fêtes. Les internautes peuvent y sélectionner les albums qu’ils aimeraient recevoir le 25 décembre à frais zéro. En revenus directs, les artistes n’y gagnent rien ou que très peu d’argent, mais ils gagnent en visibilité. «La plupart d’entre eux augmentent leur nombre de likes sur leur page Facebook et attirent une plus grande foule à leur spectacle», indique-t-elle.

D’un autre côté, Geneviève Côté s’interroge sur les retombées réelles de cette technique. Elle pense que télécharger des produits culturels de façons légale ou illégale change peu de choses pour le consommateur qui ne désire pas payer. «Il n’a peut-être pas la culpabilité liée au geste de voler la musique. Dans les faits toutefois, achètent-ils plus de billets de spectacles ? Ne l’auraient-ils pas fait s’ils avaient payé leurs téléchargements? On n’a pas la réponse.»

Ce n’est pas toujours simple pour les artistes de vendre leur art. Ce que rapporte la vente des albums en comparaison à l’argent qui y est investi peut mettre un artiste dans le rouge. Barbara Finck-Beccafico fait savoir que produire et distribuer un album demeure un processus dispendieux. «Pour sortir un album, l’artiste devra s’entourer d’une bonne équipe parce qu’il ne pourra pas tout faire, explique-t-elle. Ce sont plusieurs dépenses en salaire à considérer.»

Avant tout, donner sa musique demeure un choix. Dans le cas d’Ogden Ridjanovic, cette décision a été motivée par une question d’éthique. «Alaclair est un groupe profitable, pourquoi le public devrait-il nous financer?», questionne-t-il. Plusieurs artistes reçoivent des subventions fédérales et provinciales, mais doivent tout de même investir dans la production de leur album, qui ne se vendra peut-être pas. Alaclair Ensemble a voulu contourner le système malgré ses trois albums officiels. «Lorsque tu distribues un album, tu as accès à des subventions assez payantes. Cependant, le darkside, c’est que tu dois te plier à un certain protocole». Pour Alaclair, une subvention signifiait trop de sacrifices. Pas question pour le groupe d’abandonner le franglais ou d’être encadré par des dates de sorties fixes et contrôlées. Selon le rappeur, la liberté de déroger des normes fait partie du processus créatif.

Ogden Ridjanovic avoue ne pas rouler sur l’or. Néanmoins, il a adapté son mode de vie en conséquence. «Je préfère être plus écouté et gagner moins d’argent que l’inverse. Mais ça… c’est moi.» Il est peut-être paradoxal de dire que donner sa musique est payant, mais tout dépend pour les artistes de ce qu’est leur définition de profit. Certains musiciens gagneront au change.

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