Un son inaudible

La scène électronique mondiale comprend aujourd’hui une poignée de jeunes Québécois. S’ils surfent sur l’engouement de ce genre musical à l’international, la plupart d’entre eux font figure d’illustres inconnus au Québec.

Alors que le Québec voit sa scène hip hop renaître, ses beatmakers reçoivent une partie de la reconnaissance qu’ils méritent après des années passées dans l’ombre. Bien que certains d’entre eux entament des carrières à l’international, ils restent méconnus par une grande partie du public québécois.

«La culture du beatmaking est plus forte que jamais. Il y a beaucoup d’ambassadeurs québécois à l’international, on nous prend donc un peu plus au sérieux», affirme Ajust, le producteur du groupe de rap Loud Lary Ajust, récemment signé chez Audiogram. Celui qui produit de la musique instrumentale depuis dix ans fait partie de la «Nouvelle Vague» du hip hop montréalais. La plupart des producteurs de cette cohorte viennent de ce que l’on nomme la culture piu piu, cette fraternité de hip hop électronique québécoise très active dans la province depuis trois ans.

Pour l’entrepreneure musicale et organisatrice des événements Les beats, Aïsha Cariotte Vertus, le Québec n’a tout simplement pas encore adopté la culture de la musique électronique. «Les gens d’ici ne sont pas prêts pour ça, affirme-t-elle d’emblée. Oui, ces gars-là passent dans le Voir, dans La Presse ou dans les autres publications culturelles, mais ça reste marginal. Personne ne sait qui ils sont. Pour certaines personnes, si tu fais de la musique avec ton ordinateur ce n’est tout simplement pas de la musique.»

En un battement de cil, Kaytranada est passé de compositeur anonyme de rythmes bâtis dans son sous-sol sur la Rive-Sud à vedette de la musique de discothèque. Il reste relativement peu connu dans sa province natale alors que les organisateurs de festivals s’arrachent le producteur de 22 ans. Il a fait la couverture de Mixmag, la bible de la musique électronique, le mois dernier et a produit cette année une chanson pour le groupe Mobb Deep, vedette de la scène hip hop new-yorkaise. Le jeune de 21 ans, High Klassified a assemblé ses rythmes chez sa mère à Laval et les diffusait sur Internet lorsqu’il a reçu le coup de fil décisif en 2013 : le producteur A-track lui proposait de signer chez Fool’s Gold, une maison de disque reconnue basée à Brooklyn. Peu de temps après, High Klassified sortait chez eux une compilation acclamée par la critique et le public.

Lunice a suivi un parcours semblable à ces artistes prolifiques. Aujourd’hui âgé de 25 ans, né dans le sud-ouest de l’île de Montréal, sa musique l’a déjà amené aux quatre coins du globe. Signé sur Warp, maison de disque écossaise qui compte parmi ses rangs la crème de la scène électronique mondiale, il a collaboré avec une pléiade de grosses pointures du milieu hip hop bien avant d’entamer son deuxième quart de siècle.

 

Boudés par les médias

Maxime Robin, beatmaker montréalais indépendant depuis une dizaine d’années et chroniqueur chez Ghetto Érudit, place le Québec dans une zone grise culturelle. «Les médias traditionnels québécois ne poussent pas la musique différente faite ici», argumente-t-il. Cet artiste croit que le Québécois moyen ignore ce qu’est Mutek, un important festival de musique électronique qui se tient à Montréal depuis les 15 dernières années. Maxime Robin pense que cette méconnaissance entre dans la catégorie des choix de société. La nôtre, selon les grands médias, se serait arrêtée dans les années 70 et 80. «Ça inclut la radio. Prenez la BBC en Angleterre, on peut y entendre des sons complètement avant-gardistes presque tous les jours. La société Radio-Canada elle mise plus sur “l’arrière-garde”.» Ce beatmaker croit qu’une grande partie des efforts faits par les médias d’ici sont dirigés vers des générations plus âgées. «Quand des coupes sont faites à Radio-Canada, ce ne sont pas les programmes de “matante” Pauline qui vont écoper, mais ceux de musique émergente», illustre-t-il.

Pour High Klassified, tout cela importe bien peu. «Les jeunes ne sont pas désavantagés d’être nés au Québec, croit-il. De toute façon, les frontières n’ont plus d’importance. Tous les beatmakers qui sont connus dans le moment le sont à cause de Soundcloud, le réseau social musical.»

Les beatmakers québécois, malgré leur succès à l’international, préfèrent rester dans l’ombre, selon le fondateur du blog 10kilos.us, Laurent K. Blais. «Oui c’est bien en tant que supporteur de voir ses goûts validés et de voir son orgueil de fan flatté par l’apparition de nos artistes hip hop préférés dans les médias grand public. Mais c’est essentiellement une génération de musique Internet.» High Klassified parle plutôt d’une tranche d’âge de «Soundcloud music».«Prends un Kaytranada, enchaîne Maxime Robin. Il a sa niche et elle marche bien. Je ne crois même pas qu’il veuille être une vedette au yeux du grand public».

À force de bouder un pan de sa musique électronique locale, le Québec a poussé ce genre musical à voyager ailleurs que sur les ondes principales, et à s’y installer pour de bon. «C’est le grand public qui manque quelque chose à ne pas connaître ses rappeurs!», conclut Maxime Robin.

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