L’art de ne pas se faire intimider

Lutter contre l’intimidation n’est pas un jeu d’enfants. Pour contrer ce fléau, certains croient bon d’enseigner aux jeunes à se battre, une solution loin de faire l’unanimité. 

Couverts d’affiches de la fierté nationale Georges St-Pierre, les murs du centre d’entraînement Tristar à Longueuil retracent l’histoire de cet endroit considéré comme La Mecque des sports de combat au Québec. Au fond du couloir, une grande porte s’ouvre sur une classe bien différente des autres, celle consacrée au programme d’arts martiaux mixtes pour enfants. Si les initiateurs du projet croient qu’il est nécessaire d’apprendre à se défendre pour combattre l’intimidation, certains spécialistes sont d’avis que cette pratique est condamnable.

Entraîneur en chef du gym, Firas Zahabi roule sa bosse dans le monde des arts martiaux depuis de nombreuses années. Il a été, entre autres, l’un des artisans du succès planétaire de Georges St-Pierre. Père de deux garçons, il est catégorique sur la question de l’intimidation. «Si tu ne sais pas comment te défendre, tu fais partie du problème. Les brutes se nourrissent des faiblesses des autres», lance-t-il. Dans cette optique, il offre depuis 2013 des cours d’arts martiaux pour les enfants accompagnés de leurs parents. «J’entraine mon fils chaque jour pour qu’il puisse se protéger adéquatement dans la vie de tous les jours», mentionne le Montréalais. Il est d’avis que ces séances sont aussi une opportunité en or pour les jeunes de développer une plus grande confiance en eux-mêmes.

 

L’école de la vie

La vision du public vis-à-vis les sports de combat est remplie de préjugés constate l’ancien combattant d’Ultimate Fighting Championship (UFC), Patrick Côté. «Se battre dans un ring est beaucoup moins dangereux que jouer au hockey, fait-il valoir. Au moins, dans notre sport, les deux adversaires sont consentants et n’ont pas de surprises». Pour le jeune retraité originaire de Rimouski, la base des arts martiaux n’est pas la violence, mais l’esprit de compétition qui se retrouve dans n’importe quel sport. Selon Firas Zahabi, apprendre à se battre dans un milieu encadré et supervisé permet à l’enfant de canaliser son énergie et d’acquérir une discipline profitable pour leur vie d’adulte à venir. «On a tous commencé ce sport parce qu’on a été intimidé», pense-t-il.

Éducatrice en petite enfance pendant 18 ans, Hélène Boissonneault partage la même opinion. Pour elle, les cours d’arts martiaux permettent à l’enfant de développer une estime de soi tout en apprenant la discipline. «Les enfants n’y apprennent pas à se battre, mais plutôt à se défendre et à être en confiance», affirme-t-elle. La conceptrice du site web educatrucs.com a vu les effets positifs de la pratique d’un tel sport dans sa propre famille. «Ma fille a fait des cours de kick-boxing et ça lui a donné le courage de confronter son intimidateur, raconte-t-elle. Même si elle ne se serait jamais servie de ses connaissances pour faire mal au garçon, très confiante, elle a pu régler ses problèmes avec lui et l’intimidation a arrêté automatiquement.»

 

Un risque inutile
Bien que plusieurs pensent que la pratique des sports de combat soit bénéfique au développement de l’enfant, elle comporte des risques négligeables. Pour Sébastien Cherreau, qui a fait des études en ostéopathie et a travaillé dans un centre d’entrainement pour les jeunes athlètes, il ne faudrait pas oublier que ce genre d’activités est très risqué. «Oui, une commotion cérébrale peut survenir subitement que ce soit lors d’un accident de voiture ou même en déboulant les escaliers, explique-t-il. Mais on peut éviter le sport de contact en sachant qu’un traumatisme crânien peut avoir des répercussions désastreuses pour le jeune.»

Véritable épidémie chez les sportifs, les commotions cérébrales sont un sujet chaud par les temps qui courent. Maux de tête, difficultés de concentration, étourdissements; les conséquences d’un coup à la tête sont à la fois physiques et psychologiques. «Considérant qu’il y a cinq fois plus de chance d’avoir une deuxième commotion après la première, laisser deux jeunes de huit ans se frapper est insensé pour moi», conclut-il. Il y a les commotions, mais il y a aussi les sous-commotions, soit des chocs qui ne sont pas assez importants pour provoquer une commotion cérébrale, mais qui s’accumulent, fragilisent le cerveau et finissent à long terme par avoir les mêmes effets néfastes. Selon l’auteur du livre Les commotions dans le sport, Dave Ellemberg, un sportif qui atteint le niveau professionnel subira près d’un millier de sous-commotions causées par des coups à la tête à répétition.

Questionné sur le danger des sports de contact pour les jeunes, Firas Zahabi se veut rassurant. «Nous offrons une pratique des arts martiaux dans un environnement sain et sécuritaire. Dans ce contexte, le risque est presque nul», répond-il. Il ajoute qu’il préfère voir un jeune se battre dans une arène de combat que dans une cour d’école ou une ruelle. Pour les initiateurs du programme d’arts martiaux mixtes pour enfants chez Tristar, apprendre aux victimes à se défendre est une manière de mettre fin au problème. Par contre, en cette période où les blessures à la tête sont légion, il se pourrait bien que la pratique des sports de combat soit mis au tapis par le danger des commotions cérébrales.

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