Qui va à la chasse

La venue prochaine de gibier sauvage dans un club sélect de restaurants québécois a de quoi réjouir les épicuriens, mais laisse un goût amer à de nombreux chasseurs.

Présent dans les assiettes des restaurants européens depuis plusieurs années, le gibier issu de la chasse est toujours absent des tables québécoises. Le gouvernement a annoncé, il y a quelques mois, la mise en place d’un projet pilote au cours duquel dix restaurants, dont le Toqué! et le Pied de cochon, pourront servir de la viande sauvage sur une courte période de l’année. Malgré l’engouement suscité par l’initiative, la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs (FédéCP) s’oppose fermement à ce projet qui enrage plusieurs de ses membres.

De son côté, le président de la Fédération des trappeurs gestionnaires du Québec (FTGQ), Philippe Tambourgi, appuie le projet-pilote, qui inclurait la viande de rat musqué, d’écureuil et de castor. «On n’y voit aucun problème, tant que la mise en valeur de la fourrure reste prioritaire», explique-t-il. Les trappeurs peuvent faire le commerce de la fourrure issue de leurs pièges. «Nos membres peuvent aussi vendre la viande qu’ils récoltent, c’est juste qu’il n’existe pas encore de véritable demande, indique le directeur général. Puisqu’on commercialise la fourrure, cela ne causerait pas de problème de mettre en marché la viande.» Selon lui, le projet pilote devra toutefois remplir certaines conditions précises. «Il faudrait que ça se fasse tard à l’automne, quand la température ne monte pas en haut de quatre degrés, afin que la viande se conserve bien dans le piège», note Philippe Tambourgi. Les chasseurs ne peuvent pas, quant à eux, vendre le gibier de leurs prises. «Les associations ne peuvent pas tenir d’activités au cours desquelles il y a partage de viande de gibier qui a été chassé, parce que cette dernière ne provient pas d’un abattoir», précise la responsable des relations publiques de la FédéCP, Brigitte Lemay.

Cette initiative va à l’encontre du modèle nord-américain de conservation de la faune, selon la FédéCP. «Le gibier est un bien collectif et lorsqu’il est chassé, il ne peut être vendu», martèle Brigitte Lemay. Chasseur expérimenté, Michel Dumais croit que la présence de gibier dans les restaurants enlève beaucoup de valeur à leur métier. «Chasser et obtenir le fruit de son travail est un prix prestigieux, inestimable et exclusif. Quels sont les avantages d’aller se geler le derrière en automne si la viande devient disponible dans les restaurants?», se questionnet- il. À son avis, ce projet ne représente en aucun cas une amélioration de l’accès à la viande sauvage. «Avez-vous vu la liste des restaurants? Ce n’est pas tout le monde qui pourra se permettre d’aller goûter la viande au Toqué!», remarque Michel Dumais.

La première édition de ce projet- pilote ne devrait durer qu’une semaine, mais les chasseurs redoutent une décimation des populations animales par le braconnage depuis l’ajout au projet du cerf de Virginie, une espèce susceptible d’être menacée. «Cela va créer une demande qui va amener une hausse de production dangereuse, s’inquiète Michel Dumais. Il risque d’y avoir plusieurs excès sur les territoires de chasse». La FTGQ ne craint pas outre mesure du braconnage. «Les captures sont repérées dans des zones précises, donc on sait d’où proviennent les bêtes capturées. Si nous sommes capables de le faire pour les fourrures, il est possible de le faire pour la viande», croit Philippe Tambourgi. Ardue sera la tâche de retracer l’origine du gibier, selon Michel Dumais. «Avec qui vont-ils faire affaire? Qui va s’en occuper et préparer la viande? Comment s’assurer que ça vient d’un endroit particulier? Ce n’est pas possible et ça va ouvrir la porte à ceux qui vont aller à l’encontre des règles», s’insurge le chasseur.

Apprentis-chasseurs

Plusieurs partisans du projet déplorent le manque de savoir-faire des chasseurs lorsque vient le temps d’apprêter la viande. Le chef du Toqué!, Normand Laprise a affirmé au quotidien Métro que près de 70 % du gibier était gaspillé. «D’alléguer que les chasseurs ne savent pas comment apprêter toutes les parties des bêtes qu’ils prélèvent reflète un manque flagrant de connaissances du milieu faunique», réplique la porte-parole de la FédéCP, Brigitte Lemay. Les trappeurs consomment eux aussi la viande issue de leurs pièges. «Ils ne laissent rien traîner», assure Philippe Tambourgi. Si le projet se concrétise, la fédération envisage d’améliorer la préparation de leurs membres. «Il va falloir que les personnes suivent une formation supplémentaire pour s’assurer qu’il n’y ait pas de danger concernant la viande de la FTGQ», explique le directeur général. Michel Dumais pense également que les chasseurs ne gaspillent pas leur viande. «Je fais tout pour que la viande soit de la meilleure qualité possible avant de la servir à ma famille et mes amis. En 25 années de chasse, je n’ai jamais perdu plus qu’une livre», affirme le chasseur. Il n’a qu’une chose à dire aux chefs cuisiniers. «Qu’ils restent dans le caviar et qu’ils laissent les chasseurs tranquilles!»

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