Donner la parole aux peuples

Tradition sous-estimée, les médias autochtones s’établissent à petits coups dans le tissu de médias canadiens, ce qui n’empêche pas la formation d’un abîme entre les diffuseurs d’information locaux et globaux.

Quelques médias autochtones sont reconnus au Canada, comme l’Aboriginal Peoples Television Network (APTN) et la Société de Communication A t i k a m e k w – M o n t a g n a i s (SOCAM). Les médias de Nations réduites peinent à se faire connaître. Plusieurs réseaux journaux ont vu le jour dans les réserves autoch-tones, tels que le Eastern Door chez les Mohawks, The Nation chez les Cris et les stations de radios locales. Si deux médias autochtones sont bien établis au Canada, d’autres plus réservés restent méconnus du grand public, donc en constante lutte pour leur survie.

Les médias nationaux s’en sortent bien, comme l’APTN, selon la coordonnatrice des communications du réseau, Emili Bellefleur. À l’été 2013, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a renouvelé sa licence de distribution obligatoire pour un mandat de cinq ans. «L’APTN est capté par plus de dix millions de foyers et d’établissements commerciaux au Canada», décrit-elle. La SOCAM quant à elle captive 85 % de l’auditoire potentiel dans les communautés des Premières Nations.

«L’apparition de nouveaux médias dénote une volonté de s’inscrire comme citoyen actif au sein du monde contemporain et de briser les stéréotypes de l’indien d’Amé- rique», observe l’étudiante à la maîtrise en communication Maude Calvé-Thibault. Leur réussite est cependant compromise. «La plupart d’entre eux vivent très difficilement et se retrouvent dans une situation proche de celle des médias communautaires que l’on connaît. La lutte pour les maigres ressources financières est permanente», explique le directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur la communication, l’information et la société (CRICIS), Éric George.

Seul l’APTN échappe à cette situation car son financement provient de tous les abonnés au câble. Le réseau pancanadien fait partie de la liste réduite des canaux obligatoires. À l’opposé, les médias autochtones qui agissent comme entreprise privée ne peuvent compter que sur les annonceurs, selon le spécialiste de la couverture médiatique et des Autochtones, Pierre Trudel. Les autres sont créés par les conseils de bande et sont financés par les fonds publics du gouvernement du Canada. Dans les deux cas, ces modes de financement ne sont pas suffisants.

Contenu visé

Le co-porte-parole pour le Réseau jeunesse des Premières Nations du Québec et du Labrador, Sipi Flamand, est témoin d’une démotivation latente. «Les gens qui travaillent à la radio com- munautaire de Manawan sont souvent bénévoles et n’ont pas de formation par manque de subvention», illustre-t- il. L’actualité a donc peu de répercussions, puisque le but premier n’est pas d’informer comme le font les médias officiels québécois ou canadiens. «Il y a un défi du côté de la formation des personnes qui s’expriment dans ces médias», croit Éric George. La qualité de l’information et des informateurs leur semble peu importante. Sipi Flamand se montre du même avis. «Il faut plus d’organisation, de formations de journalisme et de production radio, propose-t-il. Il faut que la radio devienne plus professionnelle.»

Le contenu diffusé par les médias est problématique, selon Sipi Flamand. La communauté s’intéresse davantage à la télévision et aux divertissements qu’à l’information. «APTN est un média important chez nous, note-t-il. Sans dire du mal de ma communauté, il n’y a pas beaucoup de personnes instruites. Les nouvelles qui ont de l’impact sont celles qui divertissent, comme le bingo.» Lorsque des nouvelles politiques ou nationales sont diffusées dans les communautés, les médias autres que l’APTN et la SOCAM passent inaperçus. «Bien sûr on parle de l’actualité autochtone, mais on a aussi des brèves sur l’actualité canadienne, car il y a aussi des répercussions sur nous», souligne Sipi Flamand.

Malgré leur pertinence, ces médias n’attirent pas suffisament la curiosité du public. Le problème réside donc dans l’intérêt que les communautés ont envers eux, car la grandeur de l’auditoire n’est pas en cause. «La radio est l’un des médias les plus importants au sein des communautés car elle est la première source d’information locale, des activités communautaires aux annonces publiques», explique l’étudiante Maude Calvé-Thibault. Pour accroître la notoriété des médias de réserves, Pierre Trudel recommande une plus grande présence dans les congrès médiatiques. «Ils devraient être plus présents quand les médias canadiens se rencontrent, ça établi- rait des contacts et élargirait leurs perspectives face aux journaux.»

Sipi Flamand suggère quant à lui de recevoir plus de subventions, pour des formations et des rencontres entre médias. Selon le professeur et le co-porte-parole, une présence plus accrue, plus de moyens financiers et une meilleure couverture de l’actualité sont nécessaires pour que les médias locaux puissent se sortir de l’abîme dans lequel les gardent les détenteurs du monopole de l’information autochtone.

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