À qui l’organe?

L’idée d’une pétition pour rendre le don d’organes obligatoire ne fait pas l’unanimité. Entre le droit à la vie et la liberté de choisir, la ligne est mince.

Deux ans et demi, c’est le temps d’attente moyen sur la liste de Transplant-Québec. Cette dernière promet une suite de procédures périlleuses, durant laquelle les patients n’espèrent qu’une chose : être l’heureux élu qui se verra greffer une chance de vivre. 

Tomy-Richard Leboeuf McGregor a du suivre le long et hasardeux chemin jusqu’à l’obtention de sa greffe pulmonaire, le 23 mars 2013. Malheureusement, nombreux sont ceux qui s’essoufflent avant le jour fatidique. Ainsi, plusieurs événements ont succinctement mis en branle une idée dans la tête du combattant : créer une pétition, rédigée conjointement avec Alexandra Beaudry, pour modifier l’approche du don d’organes au Québec. Appuyée à l’unanimité par les membres du Conseil national des jeunes du Parti québécois et parrainé par Mathieu Traversy, député du Parti québécois dans la circonscription de Terrebonne, la revendication sera déposée à l’Assemblée nationale le 23 septembre prochain, après avoir récolté 20 448 paraphes. «Le projet est de prendre pour acquis que tout le monde est consentant, jusqu’à ce qu’une personne inscrive son nom au registre des refus, rapporte le survivant. Les gens seraient libres de s’inscrire ou de se retirer en tout temps.»

L’approche ne fait toutefois pas l’objet d’un consensus. Bon nombre de citoyens déplorent l’atteinte à leurs droits et libertés. C’est le cas de Bernard*, conseiller en ventes automobiles à Longueuil, qui n’a pas signé sa carte d’assurance maladie, puisqu’il est embarrassé à l’idée de donner son corps à la science.  D’emblée, il reproche le manque de dignité humaine du projet. «Je trouve cela aberrant, affirme-t-il. Nous sommes dans une société libre et j’éprouve un certain malaise à l’idée d’être fouillé à ma mort avant d’être enterré comme si j’étais un vulgaire animal de laboratoire.» À sa défense, Tomy-Richard Leboeuf McGregor soutient le fait qu’à la base, le mot obligatoire ne figurait pas à sa requête. «Pour une raison mystérieuse, un fonctionnaire de l’Assemblée nationale l’a mis et lorsqu’on s’en est aperçu, elle était en ligne», souligne-t-il. Advenant le cas qu’un projet de loi soit déposé, le militant ne voudrait pas que le terme soit employé, de par la confusion qu’il provoque.

Pour les receveurs, dont le nombre a augmenté de 872 à 1250 de 2004 à 2012, la demande est croissante, mais le nombre de donneurs stagne. L’attente se fait de plus en plus longue et les résultats davantage alarmants. «En 2012, 1 250 personnes étaient en attente d’une transplantation et 69 sont décédés durant la période d’attente», constate la représentante des jeunes de la circonscription Sanguinet pour la Coalition Avenir Québec, Anabelle Leblond-Lebel. Cette dernière rapporte qu’un seul don d’organe peut sauver jusqu’à huit vies et guérir jusqu’à 15 personnes.

Après avoir vu la mort de près, Tomy-Richard Leboeuf McGregor éprouve une grande affliction envers la réalité. «Chacune des vies perdues en est une de trop, rapporte-t-il. Nous sommes en 2014. Leur mort est un non-sens, car il aurait été possible de les sauver si plus de gens donnaient leurs organes.»

Afin d’aider les gens à faire un choix éclairé, les jeunes de la Commission Relève – Coalition Avenir Québec (CRCAQ) croient urgent de les conscientiser au don d’organes. «Nous proposons de faire en sorte que toute personne inscrite à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) soit automatiquement inscrite au Registre des consentements au don d’organes et de tissus de la RAMQ. Il serait certainement de mise d’établir un plan d’information, de sensibilisation et de conscientisation par rapport à ce type de manœuvre et de cette forme de consentement», énonce la représentante. En tant que citoyen, Bernard soulève quelques nuances. « Il y a tellement de gens qui oublient de signer leur carte, témoigne-t-il. Également, ceux qui veulent garder l’intégrité de leur corps en mourant, ne les faites pas sentir coupables au nom d’une prétendue solidarité sociale.»

Ce débat porte atteinte à l’image projetée dans la société par ceux qui refusent de signer leur carte. « Il est question d’un dilemme au niveau de la liberté. Il faut tenir en compte la liberté de la personne qui pourrait recevoir un organe, mais aussi la liberté de la personne qui devrait en donner un», spécifie Ioan Sénécal-Tremblay, enseignant d’éthique au secondaire. Si l’on s’inspire des écoles de pensées, les idées des deux camps s’éclairent. «Selon l’utilitarisme, le bien du plus grand nombre est plus important que le bien du plus petit. Ceux en défaveur peuvent voir une façon de nuire à la majorité en les forçant à donner leurs organes pour satisfaire au bien de quelques personnes», déclare-t-il.  Le concept opposé est, lui aussi, bien présent dans le débat. «Ici, le désagrément est minime pour la personne qui doit simplement signer un registre. À l’inverse, le désagrément est énorme pour la personne qui ne reçoit pas son organe et qui est assujettie à la mort», fait remarquer l’enseignant.

À l’approche du verdict, le réchappé lance un cri du coeur. «Statistiquement, vous avez beaucoup plus de chances d’être un receveur qu’un donneur. Consentir au don d’organes, c’est un don inestimable : le don de la vie.»

Photo: Andréanne Lebel

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