Formatés à la demande du client

Au Québec, l’Université du Québec à Montréal (UQAM) est la seule institution universitaire à offrir une formation de trois ans spécifiquement en journalisme, et ce, depuis 1995. L’administration se vante que les diplômés de ce baccalauréat forment le gros du bataillon de la relève journalistique québécoise, mais y a-t-il réellement une relève pleine de vigueur et de talent qui réussit actuellement à se forger une place sur le marché du travail? Lorsqu’emploi il y a, celui-ci est très souvent précaire et ne laisse que très peu de liberté de style au journaliste. Non seulement au Québec, mais à travers le globe, le journalisme traverse une passe difficile. Plusieurs problèmes émergent du marché, mais certains autres s’amorcent à l’origine même de la formation des futurs journalistes.

Depuis sa création, l’UQAM s’est toujours démarquée des autres universités québécoises. L’Université du peuple, perçue comme plus à gauche, se distingue justement par son enseignement critique. Pourtant, ce constat ne s’applique pas à tous les programmes. À l’École des médias, le programme de journalisme se vante de développer des «têtes bien faites» plutôt que des «têtes bien pleines» en poussant les étudiants à réfléchir sur le quatrième pouvoir. Paradoxal comme affirmation, car ce n’est que depuis la réforme de 2012 que le programme offre un cours non obligatoire ayant pour thème la critique des médias. Sur 30 cours à suivre tout au long du baccalauréat, il n’y en a qu’un seul qui propose une analyse critique du monde de l’information et du fonctionnement des médias.

Ainsi, au lieu d’amener les élèves à développer un esprit critique sain et nécessaire à la profession, les cours du programme de journalisme visent plutôt la formation de journalistes standardisés à la demande des quelques futurs employeurs. Lors de la réforme du baccalauréat en 2012, la direction du programme a approché certains dirigeants des grandes compagnies médiatiques afin de savoir quelles connaissances techniques les étudiants devaient avoir en sortant de leur formation. Ce type de réforme incarne parfaitement la logique marchande de l’éducation ainsi que le formatage du métier de journaliste. Les clients, qui sont les futurs employeurs, imposent leurs demandes et exigences aux dirigeants de l’entreprise, qu’est l’université, afin qu’ils fournissent un certain type de marchandise, les étudiants, dans le format désiré. Le programme arrête ainsi d’être un lieu où l’on permet aux jeunes de se développer indépendamment d’un standard visé.

Au lieu de permettre aux jeunes journalistes de développer leur propre plume, le programme les forme à écrire, parler et penser de la même façon : à la Radio-Canadienne. Les professeurs qui nous enseignent proviennent presque tous des mêmes médias et ont été eux-mêmes moulés par ce milieu qui se polarise de plus en plus. Puisqu’ils ont appris de la même école, leurs cours indifférenciés deviennent redondants et ne poussent pas les élèves à développer une réflexion qui va plus loin que la simple logique de rapporter des évènements. Même s’ils apprennent à travailler sous pression et dans de courts délais, la majorité des élèves en journalisme sortent du baccalauréat sans avoir développé un esprit d’analyse qui leur est propre.

Cette polarisation créé un milieu propice à la discrimination au sein des cohortes. Les étudiants qui ont une manière différente de penser ou qui s’intéressent à des enjeux «non conventionnels» se font si rares qu’ils sont souvent perçus comme étranges ou «out», car ils ne «fittent» pas dans le moule. Même si la différence est quelque chose de bénéfique et nécessaire au milieu journalistique, celle-ci n’est pas encouragée au sein de ce baccalauréat.

Dans nos cours, la plupart des professeurs nous donnent en exemple le travail journalistique de Radio-Canada, de La Presse et du Devoir. Loin de dire que ces médias ne sont pas de qualité, mais ils ne représentent toutefois pas la diversité journalistique qui caractérise une société qui regroupe une riche diversité d’individus. Certains autres professeurs nous encouragent à développer un style qui nous est propre, mais ils sont peu et marginaux. Ne sont-ils pas étonnés de remarquer que nous écrivons et réfléchissons tous de la même manière? Est-ce une gangrène ou bien une preuve que la marchandise est prête à être mise sur le marché?

Tout au long de notre formation, aucun cours sur l’histoire du journalisme au Québec ne nous est offert. N’est-ce pas la base que d’analyser l’évolution de son métier dans un milieu qui sera bientôt le nôtre? N’est-il pas nécessaire de comparer les styles d’écriture et de couverture des journalistes qui ont marqué les époques précédentes? Peut-être que pour nos futurs employeurs ce n’est pas un savoir nécessaire, car il n’est pas technique. Mais justement si nous avions voulu avoir une formation uniquement technique, nous aurions pu nous inscrire au certificat en journalisme qu’offre l’Université de Montréal (UdeM). Si nous avons choisi l’UQAM plutôt que l’UdeM, n’est-ce pas parce que nous voulions de la viande autour de l’os? En discutant avec des étudiants en 3e année du baccalauréat, on réalise que la majorité d’entre eux ont une peur bleue de se lancer sur le marché du travail. Peut-être réalisent-ils plus ou moins consciemment qu’il leur manque cette viande autour de l’os et qu’avec un tas d’os on ne va pas si loin que ça.

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