Jouer dans la marge

Si faire l’école buissonnière en roulant sa bosse dans le milieu théâtral est possible, cette avenue demeure tout de même marginale. À quelques exceptions près, les aspirants comédiens privilégient en grande majorité la voie académique pour se tailler une place parmi les étoiles.

Apprenti comédien, Étienne Courville a pris la décision d’envoyer des demandes pour être admis dans une école de théâtre. Pour lui, pas question de continuer comme comédien sans formation préalable, et ce, même s’il a réussi à décrocher un rôle dans la production La fête à Jean, présentée l’an dernier au Théâtre Denise-Pelletier. Dans quelques jours, il auditionnera pour entrer à l’École nationale de théâtre du Canada, une audition pour laquelle il se prépare depuis des mois. «Le milieu est trop dur, lance-t-il. Si tu veux faire de l’argent, il faut aller à l’école.»

La coordonnatrice au Théâtre de l’Odyssée, Marie Filiatrault, a privilégié une autre alternative. Sans attaquer la pertinence des formations théâtrales, elle perçoit un danger à se retrouver dans un milieu fermé avec des sources d’apprentissage limitées. «Il y a des risques de s’enfermer dans des cases, lance-t-elle. L’école de théâtre peut devenir un frein à l’épanouissement artistique authentique.» Elle précise qu’il est important de faire la différence entre une formation théâtrale et multidisciplinaire. Cette dernière peut difficilement s’apprendre à l’école puisqu’elle touche à plusieurs disciplines artistiques.

La professeure à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM, Martine Beaulne, ne croit pas que le chemin académique freine la démarche artistique personnelle d’un comédien. «C’est sûr qu’il y a des gens qui se confortent dans un côté plus traditionnel du métier. Ils vont suivre l’éthique de l’institution. Par contre, les écoles de théâtre doivent favoriser la polyvalence de leurs artistes.» Selon elle, la formation académique apprend aux comédiens les bases nécessaires pour arriver à une démarche plus contemporaine. Un aspect qui fait défaut dans le parcours de Marie Filiatrault. «Je sais qu’il me manque beaucoup de choses au niveau du bagage théorique. J’ai une lacune au niveau de certaines connaissances de base, comme les noms d’acteurs influents à travers l’histoire.»

Le Théâtre de l’Odyssée privilégie l’apprentissage collectif. Les sept membres partagent leurs connaissances entre eux et s’instruisent en groupe par le biais d’un club de lecture qu’ils ont mis sur pied. «Nous suivons des formations un peu partout. C’est diversifié, nous avons fait des stages à l’étranger», précise Marie Filiatrault. L’été dernier, la troupe s’est envolée en Europe pour faire une tournée de théâtre de rue. Ce périple les a transportés jusqu’au Danemark. «Nous essayons de diversifier nos sources d’apprentissage, ça nous montre plusieurs façons de faire», ajoute-t-elle.

La proximité entre les écoles et le milieu artistique peut être bénéfique pour les apprentis comédiens. «Chaque année, à l’École supérieure de théâtre, les étudiants se regroupent et nous présentent des projets comme s’ils présentaient une demande de subvention au Conseil des arts et des lettres», partage Martine Beaulne. Parallèlement, les étudiants suivent des cours sur la gestion d’une production. Du côté du Théâtre de l’Odyssée, les artistes s’entraînent à la dure pour faire ce travail de paperasse. «Nous tentons notre chance sur tous les appels de projets possibles. Nous nous entraînons à être bons à écrire des demandes de subventions. Nous commençons à nous faire des contacts dans le milieu», affirme Marie Filiatrault. Des artistes montréalais comme Simon Drouin, Stéphane Crête et Sylvie Tourangeau les soutiennent et partagent leurs connaissances. «Ça se construit, ajoute-t- elle, mais c’est très dur. C’est du long terme, ce n’est pas contractuel, justement.»

L’heure des auditions approche pour Étienne Courville. Outre son désir de rencontrer d’autres aspirants comédiens pour se faire des contacts, il s’attend à acquérir beaucoup d’expérience s’il est admis. «Dans la formation, tu apprends à te connaître et à connaître ce que tu peux faire en te faisant proposer des alternatives, croit-il. Ça ne peut pas nuire.»

Crédit photo: Jérémie Dubé-Lavigne

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