Dossier éducation: Comment faire passer un élève sans se fatiguer

La valeur du diplôme d’études secondaires est remise en question au Québec. Certains professeurs s’insurgent devant l’importance de plus en plus secondaire accordée à l’évaluation des élèves.  

«Les exploit et la têmèrité des olympien vont rester gravé dans ma mèmoire, bien que pour certain ce seront de simple moment èphèmêre.» Selon les critères d’une école secondaire publique de la Rive-Nord de Montréal, cette phrase ne contient officiellement qu’une seule faute. Les erreurs de pluriel sont limitées à une par phrase, la position de la pente des accents n’est pas pénalisée et l’évaluation de la syntaxe appartient au passé. Incapable de rester silencieux plus longtemps devant cette situation, un enseignant de français de cette école, Stéphane Lévesque, a lancé un cri du cœur en dénonçant l’abaissement général des exigences envers les élèves.

À la suite d’une réunion de l’équipe scolaire tenue au début janvier, il a finalement décidé de rendre publique son indignation dans une lettre ouverte publiée dans La Presse. L’explosion de réactions a surpris le professeur de français. «Je ne peux plus marcher dans la rue sans me faire féliciter», affirme-t-il. Les administrateurs de la commission scolaire venaient alors d’annoncer au personnel enseignant que le nombre de crédits nécessaires pour accéder à la troisième secondaire serait coupé de moitié. «C’est un nivellement par le bas constant depuis quelques années», déplore-t-il.

La lettre s’est rapidement propagée sur les réseaux sociaux. Directeur des services étudiants d’un collège privé de la Rive-Nord, Marc-André Girard est embêté par cette déclaration publique. «C’est un faux cri d’alarme, l’ensemble de sa lettre est basé sur des perceptions et non des faits, juge-t-il. Certains enseignants ont cette vieille mentalité et ne veulent pas s’adapter à la réforme.» La directrice adjointe de la commission scolaire, Isabelle Lemire, insiste sur l’importance du facteur humain dans cette décision. «Il est important d’évaluer le facteur humain du dossier d’un élève, faire une analyse qualitative tout comme quantitative», explique-t-elle. Prévoir une chute du taux de redoublement est prématuré et peu probable, selon l’administratrice.

Professeur en sciences de l’éducation à l’Université Laval et co-auteur d’une étude sur la réforme pédagogique, Éric Falardeau remarque une autre réalité dans sa recherche. «On a interrogé plus de 400 enseignants et plus de 70% d’entre eux croient que la réforme n’aide pas les plus faibles, chiffre-t-il. C’était pourtant un objectif majeur du Renouveau pédagogique.» L’étude révèle également un déni des enseignants envers les récents changements dans le monde de l’éducation. «C’est près de 80% d’entre eux qui pensent que les élèves n’apprennent pas mieux depuis l’instauration du nouveau programme», indique-t-il.

Stéphane Lévesque demeure convaincu que cette nouvelle mesure va mettre du poids supplémentaire sur les épaules des enseignants. «Je vais avoir une classe avec beaucoup d’élèves qui n’auront pas acquis les concepts préalables, soutient-t-il. Par exemple, c’est impossible d’enseigner les verbes pronominaux si le participe passé avec « avoir » n’a pas été maitrisé.» Il dénonce les techniques mises en place pour gonfler les notes comme les arrondissements douteux des résultats scolaires. «Tout élève qui a 57% dans une étape ou une année est automatiquement arrondi à 60%», se désole-t-il. Éric Falardeau précise que chaque institution vit une situation particulière. «Dans l’étude, on a remarqué que le français est la matière où les jeunes se sont le plus améliorés aux examens ministériels, explique-il. Le cas de cette école semble être une exception plutôt qu’une règle.»

La décision de la commission scolaire a été prise pour prévenir le décrochage scolaire. «Nos critères étaient vraiment plus élevés qu’ailleurs, explique l’adjointe à la direction. On sentait que les élèves étaient désavantagés par le système actuel.» Stéphane Lévesque reconnait qu’il y a un long historique de révision des exigences, mais il reste convaincu de son inefficacité. «C’est un objectif juste et honorable, mais les moyens pour y arriver ne sont pas les bons», argumente-t-il. La proportion de décrocheurs dans la province restera sensiblement la même pour le professeur, quoi qu’il arrive. «Il y avait un tiers de décrocheurs en 1990, un tiers en 2010 et il y en aura encore un tiers en 2030», croit-il.

Diplôme pour tous

En réaction à la lettre ouverte, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) est catégorique: le diplôme d’études secondaires n’est pas offert à rabais pour certains étudiants et aucune exception n’est faite. «Ils passent tous le même examen de mathématiques, de français et d’histoire pour graduer», soutient le directeur des communications du MELS, Bryan St-Louis. Le Ministère certifie vouloir conserver les mêmes normes pour l’obtention du DES dans les prochaines années, malgré les différents critères mis en place dans chaque commission scolaire jusqu’en troisième secondaire.

Éric Falardeau relève plusieurs ratés dans le Renouveau pédagogique, mais croit aussi qu’il est peu probable de voir poindre des ajustements ministériels majeurs dans un avenir rapproché. Stéphane Lévesque est cependant convaincu que ce laisser-aller provoquera un changement inévitable. «C’est comme un jeu de dominos, si quelque chose s’écroule, le reste va suivre, illustre l’enseignant. Bientôt, les jeunes ne pourront plus réussir les épreuves ministérielles actuelles et ils seront obligés de se réajuster à cause du problème qu’ils ont créé.»

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