Carré à vendre

Fut un temps où on voyait des carrés rouges partout. Une façon facile de se reconnaître «entre nous». J’en avais un en permanence sur mon manteau, comme la plupart de mes amis, et j’en avais aussi un sur chacun de mes sacs, si jamais je décidais d’utiliser ma sacoche beige plutôt que mon sac à dos brun. J’avais même mon préféré, en feutrine un peu plus doux et un peu plus résistant que les autres. La fièvre a fini par retomber et les carrés rouges sont peu à peu disparus, mais ça, on en a déjà beaucoup parlé.

Jusqu’à la semaine dernière. Un certain Raymond Drapeau, l’homme derrière carrerougesolidarité.ca., a lancé, dans l’air, une idée. Plus que de la lancer dans l’air, il l’a présentée à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC). Son coup de génie? Faire breveter le carré rouge. En faire une marque de commerce. Le flash de l’année, coudonc. Non mais, franchement, quelle meilleure idée que de commercialiser le symbole de la lutte étudiante, lutte qui s’est formée, à la base, sur l’idée de la hausse des frais de scolarité? Quelle meilleure idée que de faire breveter le symbole d’opposition à la marchandisation de l’éducation? Tenter de faire de l’argent sur le dos d’un combat social, c’est l’idée de l’année!

Selon les propos rapportés par La Presse, Raymond Drapeau, souhaite redonner les profits de son entreprise à la cause étudiante. Une belle idée tout ça. Vraiment. Mais dans les faits, son entreprise n’est pas assez lucrative pour rapporter de l’argent à la cause. Faire du carré rouge un symbole de profit est non seulement ironique, mais complètement ridicule. Selon l’OPIC, une marque de commerce est un moyen de «caractériser» un item ou une expression donnée. «Une marque de commerce est un mot (ou des mots), un dessin, ou une combinaison de ces éléments, servant à caractériser les produits ou les services d’une personne ou d’un organisme.»

A-t-on vraiment besoin de caractériser un symbole aussi puissant, a-t-on vraiment besoin de faire de l’argent sur le dos de tout? Est-il encore possible, dans la vie, de faire d’un symbole le sien sans avoir envie d’en faire de l’argent. De faire du profit sur TOUT? Il me semble qu’à l’époque de la grève, parce qu’on parle déjà d’une «époque», on se battait contre la marchandisation en quelque sorte. Me voilà bien obligée de constater que ce n’est pas tout le monde qui est sorti de la grève avec une plus grande conscience de la chose sociale. Autour d’un chocolat chaud trop sucré, cette semaine, je discutais de la grève, de la façon dont nous étions sortis différents de ce combat-là et par nous, j’entendais bien sûr les porteurs de carré rouge. Mais non, certaines personnes ne semblent avoir rien compris de tout cela, n’avoir tiré aucune leçon de cette lutte sociale. Peut-être a-t-on trop parlé de la grève, peut-être est-ce que le carré rouge, c’est passé date. Mais il me semble que ce n’est jamais fini de s’insurger contre le détournement mercantile d’une cause qui nous a tant tenu à coeur.

Sandrine Champigny
Rédactrice en chef
redacteur.campus@uqam.ca

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