Alliance pour la transparence

Aux yeux de l’alliance des sept associations facultaires en campagne contre la vidéosurveillance, l’UQAM prend des airs de Big Brother au champ de vision démesuré.

Au plafond, des petits yeux noirs rappellent à tous de bien se tenir, alors que les babillards de l’Université crient «on est pas dans Loft Story». Depuis la rentrée, des étudiants posent des affiches dénonçant ces caméras de plus en plus nombreuses, y voyant une menace à leur liberté d’association politique. Leur objectif: donner aux uqamiens un droit de regard sur la gestion des dispositifs que le Service de la prévention et de la sécurité (SPS) place au dessus de leurs têtes.

L’installation de caméras en janvier dernier près du Café Aquin et des locaux des associations facultaires de politique et droit (AFESPED) et de sciences humaines (AFESH) inquiète certains membres de la communauté universitaire. De concert, ils crient au profilage politique et réclament leur droit à la vie privée. «À l’UQAM, il y a eu des indices de collaboration entre la direction et les policiers, déclare le professeur en sciences juridiques à l’UQAM spécialisé en vidéosurveillance, Julien Pieret. La présence de nouvelles caméras près des associations étudiantes fait peur aux étudiants, et avec raison.» D’après l’Université, les caméras ont été installées dans des endroits très fréquentés, afin de guetter le moindre signe de perturbation. Samuel Ragot, représentant étudiant au Conseil d’administration, au Comité à la vie étudiante et au Comité en matière de prévention et de sécurité, craint que ces dispositifs ne servent pas qu’à la sécurité. «Étrangement, toutes les zones visées sont les endroits où il y a le plus de mobilisation étudiante, constate-t-il. S’ils le veulent, ils peuvent suivre à la trace tous mes déplacements.»

Le directeur du SPS, Alain Gingras, rejette ces allégations. «Il y a énormément de circulation près de l’AFESH et l’AFESPED, qui sont au niveau métro», nuance-t-il. Si une demande officielle des associations était formulée, l’administration pourrait étudier la possibilité de modifier l’emplacement des caméras. Une telle demande n’a pour l’instant pas été envisagée par les regroupements étudiants, affirme Samuel Ragot. Selon Alain Gingras, une caméra veillant trop près des tables de travail a déjà été retirée de la cage d’escalier dans le pavillon Aquin à la demande d’étudiants et de professeurs.

Il souligne également une circulation dense dans le pavillon des sciences humaines, et rappelle l’incident qui a justifié la commande de dispositifs de surveillance supplémentaires partout dans l’UQAM. «Dans le Aquin, il n’y avait aucune caméra lorsqu’une alerte au tireur fou a eu lieu en 2008!», s’emporte-t-il. L’évènement a poussé l’Université à déployer une nouvelle stratégie de prévention subventionnée par le gouvernement. Le coût de cette opération, sans échéance, s’élève à plusieurs centaines de milliers de dollars. «L’installation des caméras dans le pavillon Aquin s’est peut-être faite à un mauvais timing», concède le vice-recteur à la Vie universitaire, Marc Turgeon, faisant référence aux évènements du Printemps érable et à la mobilisation étudiante. À ce jour, il ne reste que 30% du nombre total de caméras à installer pour achever le déploiement débuté en 2008.

Les étudiants martèlent trois revendications majeures: une consultation de la communauté universitaire, une politique encadrant l’utilisation des images et le retrait temporaire des caméras installées sans le consentement des usagers de l’UQAM. Ils dénoncent le manque de transparence du SPS et condamnent l’implantation d’un système de vidéosurveillance sans préavis ni consultation. «C’est surtout le huis clos qui pose problème», clame Alexandre Émond Bélisle, responsable des affaires institutionnelles de l’Association des étudiantes et étudiants de la Faculté des sciences de l’éducation (ADEESE). Pour que les étudiants puissent se prononcer, ils doivent avoir accès aux documents sur lesquels l’UQAM se base pour règlementer le contrôle des images, pense-t-il. L’étudiant explique l’importance de la mise sur pied d’une politique plutôt que de directives, afin que l’ensemble du processus de vidéosurveillance à lui seul soit encadré. Une lettre précisant cette demande, signée par six associations facultaires, a été envoyée au recteur le 18 septembre dernier. L’AFESH a choisi de ne pas signer la lettre, l’association se positionne contre toute vidéosurveillance. Des assemblées générales restent encore à venir pour établir les positions officielles de la plupart des associations étudiantes, qui se basent pour l’instant sur leurs politiques et décisions antérieures pour affronter l’administration.

L’UQAM fait sa loi
Pour Julien Pieret, la version actuelle du Texte sur la gestion du système de caméras de sécurité du Comité conseil en matière de prévention et de sécurité est incomplète. «Avant d’installer une caméra, il est nécessaire de savoir exactement quel type de lieu et de personne on veut surveiller, insiste le professeur. L’UQAM défend le principe de sécurité, mais ce n’est pas assez précis dans le document.» Alors qu’Alain Gingras vante le rôle dissuasif des caméras, le spécialiste ne croit pas à l’efficacité de l’actuel système de surveillance uqamien, exempt d’une politique détaillée où tous les paramètres en matière de prévention seraient étudiés.

Julien Pieret estime également que le Comité conseil en matière de prévention et de sécurité devrait s’inspirer des directives extérieures existantes encadrant la vidéosurveillance. Un règlement provincial introduit en 2008 oblige les organismes gouvernementaux à évaluer la nécessité de placer une caméra et à respecter la vie privée, tandis que la Commission sur l’accès à l’information recommande qu’un comité indépendant évalue le dispositif de sécurité chaque année. «Ni la Commission, ni le règlement provincial ne sont légalement contraignants pour les établissements d’enseignement», soulève le professeur. L’UQAM se charge donc d’élaborer seule ses politiques, qui dictent sa propre ligne de conduite. Aux yeux d’Alain Gingras, la mise sur pied d’un dispositif d’évaluation extérieur, comme le recommande la Commission, ne serait pas nécessaire. Le directeur fait valoir que la communauté universitaire est représentée à tous les niveaux au Comité conseil en matière de prévention et de sécurité.

Après un party interfacultaire à saveur de mobilisation et une action remarquée lors de l’allocution du recteur, des coups d’éclats sont à prévoir tout l’automne. Certaines associations envisagent «une escalade des moyens de pression» au cours de la session. Du côté de l’administration, la confiance règne. «L’affichage et la publicisation des caméras est nécessaire pour qu’elles aient un effet dissuasif, lance Alain Gingras, avant d’esquisser un sourire. Si les étudiants parlent de ça, ma job est faite.»

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Par ici les avis
Trois requêtes des associations étudiantes ont été transmises par le Comité à la vie étudiante le 22 février dernier au Conseil d’administration. Celui-ci avait alors mandaté son Comité de travail en matière de prévention et de sécurité d’élaborer un document expliquant les démarches du Service de prévention et de sécurité (SPS) et l’utilisation des caméras. Le Comité s’est réuni à trois reprises afin d’étudier les politiques de l’Université McGill et de la Polytechnique pour élaborer un document de travail. Selon Alain Gingras, le Comité se base sur les directives préétablies du SPS pour bâtir ce qui sera une politique, des directives ou des règlements. L’administration envisage aussi de mettre sur pied une foire aux questions sur le Web afin de pouvoir éclairer tous les membres de l’Université. Le directeur ajoute que les demandes de la communauté uqamienne en matière de transparence sont tout à fait légitimes. Toutefois, il n’envisage pas le retrait temporaire des caméras. «Imaginez qu’on les enlève et qu’un tireur fou entre à l’UQAM le lendemain», s’exclame-t-il, impétueux.

Crédit photo: Camille Carpentier

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