Narguer l’actualité

Désabusés par le sensationnalisme omniprésent dans la couverture médiatique, les créateurs des sites de nouvelles satiriques laissent tomber leurs gants blancs et sortent leurs plumes clownesques.

Rigolant avec son collègue derrière son écran d’ordinateur, Julien Day, fondateur du site de nouvelles satiriques l’Axe du mad, prépare son prochain coup d’éclat. Pour lui, l’actualité québécoise des deux dernières années aura été du gâteau à parodier. Inspirés par le très populaire site américain The Onion, des sites de nouvelles satiriques québécois comme celui-ci ont pris d’assaut le Web, cultivant une popularité grandissante auprès d’une faction de la société désillusionnée par les médias traditionnels. L’influence de ces «fausses nouvelles», souvent relayées par Facebook et Twitter, est si grande qu’elles arrivent même à berner des médias d’envergure.

Malgré la caricature et l’exagération de l’information satirique, certains lecteurs tombent dans le panneau de la fausse nouvelle au grand étonnement des fondateurs des sites humoristiques. «Notre but n’est pas de piéger nos lecteurs. On tente plutôt de les faire rire et même de rire un peu de l’actualité», affirme Xavier, l’un des fondateurs du Navet. À son avis, ces nouvelles initiatives ont pour but de faire réfléchir les gens tout en soulignant les contradictions dans l’actualité.

Selon André Mondoux, spécialiste en médias socionumériques à l’UQAM, l’émergence de ces sites s’inscrit dans la même lignée que l’essor des journalistes citoyens. «La crise de la presse est aussi morale, affirme- t-il. Les médias sont soumis à de nombreuses critiques et doivent s’adapter aux changements qui s’opèrent. Ça va de soi qu’il y ait de nouvelles initiatives qui prennent leur place.» À ses yeux, le changement identitaire qui s’est amorcé dans la société québécoise au cours des dernières années est intimement lié au succès croissant de ces sites. «Dans la société individualiste dans laquelle nous vivons, les gens veulent moins s’embêter avec les enjeux lourds dont on parle dans les médias. Ils préfèrent l’humour et le divertissement», explique le spécialiste.

Cette demande de nouvelles parodiées et humoristiques n’est pas unique au Québec. «On est dans l’ère des fausses nouvelles il faut croire, parce que partout dans le monde des sites du genre font éruption», affirme Julien Day. Par pure coïncidence, son propre site et le Navet ont tous deux émergé à quelques jours d’écart. Les médias sociaux ont joué un rôle crucial dans la prolifération et la popularité des sites satiriques émergents. Selon Julien Day, les plus récents sites caricaturaux qui se sont développés au Québec suivent une vague qui ne cesse de grandir. «C’est sur que notre thème de prédilection, c’est la politique, soutient-il pour tenter d’expliquer la popularité du site. On a nos têtes de Turc sur lesquelles on revient souvent, par exemple Jean-Martin Aussant, Pauline Marois et Stephen Harper. Disons qu’on se fait un petit monde à la Laflaque», poursuit le fondateur.

Au royaume de l’infaux

Au printemps dernier, Julien Day avait publié, via son site web, un article sur l’interdiction des quiz télévisés dits abrutissants. La nouvelle était caricaturale à souhait et les lecteurs l’ont adoré. Peu de temps après sa publication, l’article a été partagé par 472 personnes et a reçu plus de 43 000 «j’aime» sur Facebook. Les gens mordent à l’hameçon. Même le réseau TVA s’est fait prendre au jeu en publiant une nouvelle insolite du site parodique français, Le Gorafi, en mai dernier.

Malgré l’accueil que reçoivent les sites satiriques, certains lecteurs saisissent mal la nuance dans la démarche des auteurs et s’offusquent à la lecture des fausses nouvelles. «On a l’im- pression que plus il y a des sites qui font de la nouvelle satirique, plus les gens vont comprendre la démarche qu’il y a derrière ça», explique le fondateur du Navet. Pour lui, il n’est pas question de critiquer le journalisme actuel, mais plutôt de mettre le doigt sur des éléments qui pourraient être améliorés. «On va beaucoup jouer sur les contradictions, par exemple sur les choix de sujets qui sont mis en Une, affirme-t-il. Ce n’est pas une critique, mais plutôt une mise en relief des incohérences, car qui sommes-nous pour critiquer des gens qui ont des années d’expérience dans le domaine?»

De son côté, Julien Day croit que c’est le manque de diversité dans la couverture des évènements qui pose problème. Lui-même gravitant dans le milieu journalistique en travaillant comme blogueur au Voir, il se permet de critiquer l’attitude sensationna- liste de certains journalistes. «Ce qu’on voit dans les médias, c’est la couverture d’un spectacle. Que ce soit un spectacle électoral ou encore identitaire, comme ce qui se passe en ce moment avec la charte des valeurs québécoises», affirme-t-il.

En ligne depuis deux ans, l’Axe du mad, fera peut-être le saut en version papier d’ici peu selon les fondateurs. «Il y a un intérêt à sortir d’Internet et exporter le principe sur un autre médium», confie Julien Day. La publication n’a pas fini de faire rigoler. Et comme le dit la maxime adoptée par les fondateurs, qui aime bien châtie bien.

Crédit photo: le Navet

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