Dur, dur d’être papa

Persévérance, entêtement, tourment et espoir. Entre le statut d’homme seul et celui de papa, il n’y a ni grossesse ni cours prénataux, mais du cœur au ventre. 

Pour plusieurs, les défis évoqués par le mot adoption suffisent pour renoncer à l’envie de fonder une famille. En tant qu’homme célibataire, adopter au Québec comme à l’international signifie non seulement faire face aux démarches administratives, mais aussi aux restrictions quant à son statut. Au Québec, entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2012, seulement 15 papas ont vu naître une vie de famille d’entre leurs montagnes de paperasse.

«En tant que célibataire, vous aurez un enfant qui est moins en demande», fait savoir d’entrée de jeu la présidente de la Fédération des parents adoptants du Québec (FPAQ), Claire-Marie Gagnon. Au fil de ses années d’intervention et d’enseignement dans le milieu de l’adoption, la présidente a pu observer que les enfants plus vieux et à besoins spéciaux, c’est-à-dire ayant un handicap physique, intellectuel ou une maladie chronique, sont souvent confiés aux célibataires. Les enfants en bonne santé sont d’emblée jumelés à des couples, et ce, tant au Québec qu’à l’international, pense-t-elle. «Si une personne célibataire est fermée à l’idée d’adopter des enfants à besoins spéciaux, elle ne pourra pas adopter», ajoute Claire-Marie Gagnon.

Les organismes d’adoption à travers le monde préfèrent confier les enfants à des couples, confirme la relationniste du ministère de la Santé et des Services Sociaux (MSSSQ), Stéphanie Ménard. «C’est lorsqu’il ne reste plus de couples ouverts à l’adoption d’un enfant à besoins particuliers qu’ils se tournent vers les célibataires», nuance-t-elle.

Pour l’adoption de son deuxième enfant à l’international, il a d’abord fallu à Benoît Trudel essuyer un refus au Burkina Faso. «Même si la loi permettait l’adoption par les hommes célibataires, les gens qui géraient les adoptions ne voulaient rien savoir», raconte-t-il. Le voyageur s’est rendu au Vietnam, où il a d’abord renoncé à un enfant malade pour finalement adopter Simon, atteint de l’hépatite B.

D’après la présidente de la FPAQ, ici comme ailleurs, aucune politique n’indique que les enfants à besoins spéciaux doivent être jumelés aux célibataires, puisque les travailleurs sociaux procèdent aux jumelages selon les demandes en cours. Le MSSSQ assure que les étapes des projets d’adoption sont les mêmes pour un adoptant célibataire ou un couple, parmi lesquelles priment l’évaluation psychosociale et la capacité financière.

À l’international, la Chine est dans l’imaginaire collectif un pays d’adoption incontournable. Il est toutefois de plus en plus difficile de s’y fier pour fonder une famille, surtout monoparentale. «Quand j’ai adopté mon fils il y a huit ans,  la Chine venait de diminuer le pourcentage limite d’adoptants célibataires, raconte Pierre*. Ils privilégiaient les couples.» Le processus d’adoption du futur papa a été prolongé de trois mois, pour passer à un an et demi. Depuis 2007, la Chine n’autorise plus l’adoption par les hommes célibataires. Selon l’organisme Formons une famille, la quantité phénoménale de demandes d’adoption a obligé les autorités du pays à en restreindre les possibilités. Claire-Marie Gagnon fait savoir que la sortie publique d’une adoptante homosexuelle a également déplu au gouvernement chinois, qui a révisé ses critères au détriment de la communauté gaie.

Distances idéologiques

Outre les difficultés au niveau des démarches et du jumelage, les hommes ne peuvent généralement pas adopter de fille, soulève Claire-Marie Gagnon. «Ils leur confient plus des garçons, à cause de cas possibles de pédophilie.» Au Burkina Faso, Benoît Trudel n’a pas été autorisé à adopter Elody. Pierre confirme qu’il n’aurait pas été acceptable de demander le sexe de l’enfant en Chine. «Les hommes célibataires sont davantage vus comme des prédateurs sexuels que les mères», commente la sociologue spécialisée en adoption Chantal Collard. Elle ajoute que les femmes sont généralement privilégiées à l’étape du jumelage. «Socialement, on pense que les femmes sont mieux éduquées, plus altruistes, plus généreuses et savent mieux s’exprimer avec les enfants», explique-t-elle, ajoutant que les mentalités sont en train de changer au Québec.

«Il n’y a aucune raison de penser qu’une mère peut mieux s’en sortir qu’un père devant ce défi», objecte le professeur au département de psychologie de l’UQAM, Marc Bigras. Selon lui, aucun facteur psychologique ne prédispose un père ou une mère à être un meilleur parent. «C’est la contribution de plusieurs adultes qui fait la différence», précise-t-il. Le problème ne repose pas sur la monoparentalité, mais sur le manque de ressources, croit le professeur. La présidente de la FPAQ mentionne que l’étude du dossier d’un futur parent se base surtout sur ses capacités parentales et son réseau social.

Patience et entêtement sont nécessaires pour faire face aux difficultés de la pré-adoption, comme de la post-adoption. Les mentalités sur les pères célibataires dans la société sont encore à changer, pense Benoit Trudel, qui préfère vivre à l’étranger où l’aide à domicile est moins coûteuse. Il est plus facile pour lui de profiter de ces services qu’au Québec, où ils sont plus rares et plus dispendieux. Selon Pierre, le quotidien d’une famille monoparentale comporte son lot de difficultés, mais apporte aussi de grandes joies. «J’étais célibataire depuis des années, confie-t-il. Adopter un enfant, c’est une révolution.»

 

Crédit photo: Benoit Trudel

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