Patente à gosse

Samedi matin, 8h47. Café filtre dans une tasse aux motifs douteux, chandail de pyjama trop grand et en bruit de fond, le téléphone de mon voisin, qui sonne trop fort. Réponds, sainte! C’est peut-être urgent. Mon portable sur le ventre, je cherche de quoi parler, comme d’habitude. Entre deux visites sur Facebook (rien de nouveau, je confirme), j’ouvre la télé aux nouvelles. On sait jamais, j’aurai peut-être une illumination. J’ai bien fait, c’est arrivé. Après un reportage sur une affaire de bague en saphir, j’ai vu Martine. Et je me suis d’un coup souvenue. La Commission Ménard. C’est vrai. Cette patente à gosse. Une autre affaire.

Annoncée en mai dernier, la Commission spéciale d’examen des événements du printemps 2012 n’a de long que le nom. Parce que dans les faits, l’examen en question prendra place pendant les semaines de relâche de la Commission Charbonneau. Et devra rendre un rapport en décembre. Réaliste.

La Commission aurait sans doute validé sa pertinence si elle avait eu la pleine et entière collaboration de l’ASSÉ et de la Fraternité des policiers de Montréal. Mais ce n’est pas le cas. Est-il vraiment possible de se pencher sur un conflit historique si les principaux représentants étudiants – la CLASSE représentait, au plus fort de la grève, des dizaines de milliers d’étudiants – et le corps policier qui s’est retrouvé face aux carrés rouges pendant des mois, tous les jours, ne sont pas de la partie? Le directeur du Service de police de la ville de Montréal, Marc Parent, fera une allocution, oui. Mais ce n’est pas lui qui s’est retrouvé entre les slogans et les pancartes, hué par des manifestants au bout du rouleau.

Serge l’a dit lui même en levant le rideau lundi. C’est plus de 750 000 personnes, entre février et septembre, qui ont été impliquées dans la grève. C’est beaucoup. Vraiment beaucoup. 750 000 personnes, c’est 750 000 points de vue différents et sans doute valides. Est-ce qu’on doit tous leur donner une place? Non. L’importance d’une réflexion sur le Printemps érable n’est pas à prouver, là n’est pas l’enjeu. Mais pour alimenter un débat, il faut qu’on ait des participants, que des gens s’affrontent, en paroles, en idées. Un débat n’en est plus un si tout le monde est d’accord.

Le principal problème de cette Commission, outre les absents notables, c’est son absence de conséquences. Oui, d’accord, une réflexion profonde s’entame, un processus de discussion est mis en branle, mais on ne peut pas prétendre réfléchir sur des événements qui ont tant secoué le Québec sans enquête préliminaire, ni serment, ni même d’interrogatoire ou contre-interrogatoire. Bref, on discute. On jase, on jase. Mais au bout du compte, on arrive avec quoi? Un rapport? Une liste de recommandations? Super. C’est écrit dans le mandat de la Commission. «Formuler des recommandations» et «dégager des constats». À noter que «prendre des mesures» et «agir sur le fond des questions» sont des notions aussi absentes que les participants. La Commission ne se targue pas d’enquêter, j’en conviens. Mais se donner un mandat d’examen aussi abstrait, et surtout ne pas pouvoir contraindre les acteurs-clefs de la grève à témoigner enlève toute apparence de crédibilité à la Commission Ménard.

Quand Martine Desjardins témoigne en disant qu’elle «avait peur que quelqu’un meure» à Victoriaville et qu’elle ne pouvait plus sortir de chez elle sans escorte, je me dis qu’il aurait peut-être fallu qu’on sorte des moyens d’enquête plutôt que des fausses tribunes à huis-clos.

Le Québec s’est tenu campé en deux parties pendant des mois. Le centre-ville de Montréal a été assailli par des mers de monde pendant des jours. La vie de quartier a vibré au rythme des casseroles pendant tout l’été. Des familles se sont obstinées. Des gens convaincus ont manifesté sans cesse. Un jeune a perdu un oeil. La police a frappé, les étudiants aussi. Et qu’est-ce qu’on récolte aujourd’hui comme réflexion? Un rapport à faire d’ici décembre, en secret. Une patente gosse qu’on disait.

Sandrine Champigny
Rédactrice en chef
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