Quand la mort prend vie

Métier méconnu et suscitant autant intérêt que dégoût chez le commun des mortels, la thanatologie est en pleine mutation. Elle n’aura bientôt plus grand-chose à voir avec le croque-mort des bandes dessinées.

Richard Hébert, fils de thanatopracteur et directeur de la maison funéraire Hébert et fils, est aux premières loges des changements qui s’effectuent dans le milieu méconnu des thanatologues. Confrontés à un taux record de crémation combiné à une baisse d’intérêt pour les rituels funéraires, les professionnels des funérailles doivent repenser leurs pratiques et redéfinir leurs moeurs. «À la fin des années 70, le taux de crémation était d’environ 10 % au Québec. Aujourd’hui, on parle plutôt de 45 %. Ce taux atteint même 80 % dans certaines régions du Québec moins attachées à la tradition ou dans les grands centres urbains aux cimetières déjà bien remplis», explique le Saguenéen, passionné par son métier.

Cette nouvelle donne a de quoi faire pâlir plus d’un embaumeur puisque la crémation, rapide et moins coûteuse, rime avec une baisse de revenus pour les maisons funéraires. Le coût moyen de funérailles traditionnelles au Canada est de 7500 $. L’incinération coûte quant à elle entre 3500 $ et 5000 $. La différence de prix réside dans l’économie du cercueil, mais aussi dans le fait que le corps ne soit pas toujours exposé et donc pas embaumé.

«Notre plus grand défi, c’est de continuer à avoir des rituels funéraires, explique Valérie Garneau, présidente de la Corporation des thanatologues du Québec (CTQ). Avec le recul de la religion catholique, les rituels sont considérés comme moins importants. Pourtant, il est essentiel de faire un dernier hommage au défunt pour commencer le travail de deuil.» Un rappel qui aurait sonné comme une évidence il y a quarante ans à peine, alors que les rituels funéraires étaient rigidement codifiés. L’incinération était d’ailleurs interdite par le Vatican jusqu’en 1963.

Deuil 2.0

Forcés de s’adapter aux nouveaux contextes sociaux et religieux, les professionnels des services funéraires doivent diversifier leur offre et se plier aux nouvelles demandes des familles. De plus en plus axées sur l’accompagnement des proches endeuillés, les maisons funéraires s’orientent vers la personnalisation des obsèques. Diffusion de musique, montages photo et présence d’objets personnels représentatifs de la personne décédée sont à présent monnaie courante. On voit aussi apparaître la webdiffusion des funérailles. Une entreprise québécoise, Funeraweb, fondée en 2005, s’est même spécialisée dans les funérailles 2.0 et la vente d’objets dérivés comme les coffrets DVD souvenir.

«La webdiffusion se fait également avec les moyens du bord», constate Richard Hébert, évoquant les funérailles d’une grand-mère auxquelles ses petits-fils en voyage avaient assisté par l’entremise d’un appel vidéo. La maison Hébert et fils ne propose pas de services de webdiffusion. Elle se targue toutefois d’être la première au Québec à avoir mis en ligne les avis de décès, il y a huit ans. Le site Internet de la maison funéraire est également adapté aux tablettes et aux téléphones intelligents.

Mademoiselle Croque-Mort

Les femmes, de plus en plus présentes parmi les aspirants-thanatologues constituent un autre bouleversement de taille dans la profession. Des 500 thanatologues que compte le Québec, 73 % sont des hommes selon les dernières statistiques du ministère de l’Emploi et de la Solidarité Sociale. Ils sont toutefois de moins en moins nombreux. En 2012, parmi les 49 étudiants admis dans le programme de techniques de thanatologie offert par le Collège Rosemont, seulement cinq étaient de sexe masculin. Des chiffres qui s’expliquent en partie par la plus grande proportion de filles accédant aux études collégiales. «Cela pourrait aussi être lié au fait que l’accompagnement des familles requiert sensibilité et empathie, deux qualités dans lesquelles les femmes se reconnaissent plus facilement», estime Maude Jarry, étudiante en 2e année de thanatologie au Collège de Rosemont.

Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un véritable revirement de situation pour la profession, traditionnellement transmise de père en fils, et qui ne voit pas toujours d’un bon œil l’arrivée massive de femmes dans le milieu. «Certains employeurs ont encore peur d’engager des femmes», admet Valérie Garneau, première femme à occuper le poste de présidente de la CTQ.  Parmi les raisons invoquées, une certaine force physique nécessaire pour le transport des dépouilles. Le formaldéhyde, liquide injecté dans les corps pour les conserver, entraîne par ailleurs le retrait systématique des thanatologues enceintes. «Faute de choix, les employeurs seront obligés de faire la transition et d’engager des femmes. Le milieu va s’adapter et les laboratoires s’équiperont de lifts pour nous aider à déplacer les dépouilles», prédit Maude Jarry.

L’étudiante, qui tient un blogue intitulé Mademoiselle Croque-Mort dans lequel elle tente de démystifier la profession, déplore un certain conservatisme du milieu et espère voir les pratiques évoluer. «Bien sûr, il ne serait pas adéquat d’accueillir les familles en short à fleurs et en sandales, mais j’espère voir naître une offre de services funéraires de plus en plus conviviale et éclatée.»

Pour Richard Hébert, dont la maison funéraire est équipée d’un café, d’une salle de jeux pour enfants et d’un salon d’allaitement, la thanatologie a encore de beaux jours devant elle. Il s’agit, après tout, du «deuxième plus vieux métier du monde», rappelle le directeur funéraire en riant.

 

Crédit illustration : Andrée-Anne Mercier

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