Cinéma sur demande

Véritable parcours à obstacles, la course pour la diffusion du cinéma québécois en fait transpirer plus d’un. Épuisés, les réalisateurs, les distributeurs et les exploitants de salles se dirigent, pas à pas, vers la vidéo sur demande.

Les salles se remplissent dans les cinémas l’Excentris de Montréal et le Clap de Québec. Installés dans leur siège, pop-corn en main, les spectateurs ont les yeux rivés sur l’écran et attendent impatiemment les premières images du long métrage Le météore. D’autres, emmitouflés dans une couverture, s’installent dans le confort de leur foyer, prêts à découvrir le film en se connectant à Illico, la plateforme de vidéos sur demande (VSD) de Vidéotron. Pour les plus éloignés des grands centres, la VSD s’impose, petit à petit, comme une alternative à la diffusion du cinéma d’auteurs québécois.

Les réalisateurs et producteurs de la Belle Province voient d’un bon œil ce nouvel arrivant du secteur cinématographique. «C’est une solution en attendant que le paysage change vraiment. C’est toujours une béquille par rapport à ce que j’aimerais, c’est à dire diffuser en salle, mais la VSD est une plateforme à exploiter», confie le réalisateur du film Le météore, François Delisle. Ce n’est pas la première fois que ce dernier tente l’expérience d’une sortie simultanément en salle et en VSD. «Jamais un de mes films n’a été aussi vu. C’est un succès tant sur le plan financier que sur l’exposition du film», témoigne-t-il avec enthousiasme.

«Il y a un danger à ce que le monopole de la VSD se retrouve entre les mains de quelques gros joueurs, tel que Québecor», s’inquiète toutefois le spécialiste du cinéma québécois et des industries culturelles, Christian Poirier. Cette préoccupation est partagée par le directeur du Regroupement des distributeurs indépendants de films du Québec (RDIFQ), Louis Dussault. Selon lui, le cinéma québécois se noie parmi l’offre de films américains sur des plateformes VSD telles que Netflix ou Illico.

«On veut tous que le cinéma québécois trouve sa niche», renchérit la directrice du cinéma l’Excentris, Hélène Blanchet. D’un ton grave, elle insiste sur l’importance de maintenir un délai entre la sortie en salles et celle sur les autres plateformes.  À l’heure actuelle, ce temps de  diffusion exclusif est de cent jours pour les cinémas avant que le film soit accessible autrement. «L’exploitant de salles a beaucoup de coûts à supporter, et encore plus lorsqu’il s’agit de films d’auteurs québécois et non du dernier box-office hollywoodien. Pour les films québécois, seulement la moitié de la redevance revient au distributeur», déplore Hélène Blanchet. Si ce délai est amené à disparaître, le cinéma risque de perdre une part de ses spectateurs et de ses recettes. Les coûts liés à la diffusion ne pourront alors être compensés, estime avec crainte la directrice de l’Excentris.

Sur le fil du rasoir

La VSD a beau gagner du terrain, les salles de projection n’ont pas encore rendu leur dernier souffle. «L’ensemble de l’écosystème du cinéma est fragilisé et en pleine mutation», soutient Christian Poirier. À ses yeux, lorsque de nouveaux acteurs entrent dans le système, telle que la VSD, certains doivent s’adapter alors que d’autres disparaissent tels que les clubs vidéo  Blockbuster.

Si l’observatoire de la culture et des communications du Québec constate une baisse continue de l’assistance au cinéma de 5% depuis 2009, le secteur a encore de beaux jours devant lui, selon Louis Dussault. «La sortie au cinéma est un processus qui permet de donner le plus de visibilité aux films. Dans le cas contraire, il n’y aura pas ou peu de demande sur VSD», avance-t-il d’un voix rassurante. Pour lui, la projection sur grand écran aurait un effet multiplicateur sur l’ensemble des autres moyens de diffusion. Hélène Blanchet reconnaît que le cinéma garde un caractère unique, celui de divertir différemment, en couple, en famille ou entre amis.»

La directrice de l’Excentris prévoit doter son entreprise de sa propre plateforme web de VSD d’ici deux à trois ans. Le cinéma pourrait diffuser des films d’auteur dans toute la province et rejoindre un public plus éloigné des grands centres. «Des ententes, des discussions et des détails juridiques sont encore à régler», souligne-t-elle. De son côté, le RDIFQ attend les fonds nécessaires pour créer sa propre plateforme VSD sur le web. «Nous voulons orienter le public parmi cette quantité d’offres et rendre le cinéma québécois plus visible.»

Sur l’écran géant le générique de fin défile lentement, la salle sort de son obscurité et les spectateurs quittent un à un le cinéma. Certains échangent quelques mots puis, par petits groupes ils se dispersent sur le boulevard Saint-Laurent. Dans leur foyer, d’autres éteignent la télévision et commentent, dans le confort de leur foyer, le cinquième long métrage de François Delisle.

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