Un défi de taille

Paresseux, sans volonté, laids, tels sont les reproches qui traversent l’esprit de plusieurs lorsqu’ils croisent une personne de forte taille. Pour certains, l’apparence physique pèse lourd dans la balance.

L’étudiante au baccalauréat international en science de la santé, Élisabeth Arsenault,  se dit très ouverte aux autres religions, aux cultures et à la communauté LGBT. Cependant, dès qu’il est question d’obésité, la jeune femme de 20 ans change de ton. «Les personnes obèses me dérangent, lance-t-elle avec vigueur. Ils ont la solution entre leurs mains et ils ne font rien pour s’aider.» Comme plusieurs autres, Élisabeth n’a aucune tolérance envers les personnes qui souffrent d’un surpoids. Contrairement à l’anorexie, la fatphobia n’encourage pas à la maigreur, mais constitue un malaise face aux kilos en trop, autant chez soi-même que chez les autres.  La fatphobia est un enjeu qui grossit au gré des kilos.

En octobre 2012, le groupe ÉquiLibre publiait l’étude Poids, image corporelle et habitudes de vie : les différences entre les hommes et les femmes faite par SOM. Cette étude significative révélait que 37 % des femmes et 21 % des hommes affirment se mettre de la pression pour modifier le résultat sur leur balance.  Il est cependant difficile de convaincre les fatphobes  de ne pas se préoccuper de leurs poignées d’amour. «Dans une société de surabondance, le contrôle du poids est vu comme un accomplissement personnel, déclare énergiquement Mariette Julien, professeure à l’École supérieure de mode de Montréal. Alors, plusieurs croient qu’ils ont le devoir de devenir minces et se sentent coupables de ne pas atteindre cet idéal.» C’est le cas d’Élisabeth qui s’inflige beaucoup de pression par rapport à l’image qu’elle projette.  «Je ne veux pas engraisser et je sais que je me prendrais en main bien avant d’avoir un surplus de poids», admet-elle, sincère. C’est en partie à cause de la discrimination qui entoure les individus en surpoids que les fatphobes craignent de subir à leur tour le même sort.

De ce fait, les relations entre les fatphobes et les personnes en surplus de poids peuvent aisément s’envenimer. Élisabeth évoque un rapport de supériorité. «Si je suis assise à côté d’un obèse dans l’autobus et qu’il me parle, je vais lui répondre par politesse. Toutefois, je ne m’intéresserais pas davantage à sa personne, fait comprendre l’étudiante menue. Comment avoir du respect pour quelqu’un qui met en danger sa vie chaque jour?»

La rondeur traînée dans la boue

La conseillère scientifique à l’Institut national de santé publique du Québec, Marie-Claude Paquette, expose que les obèses sont les moutons noirs de la société. «La stigmatisation reliée au poids est une des plus importantes au Québec et le haut taux d’embonpoint mène directement à une fatphobia sociale», explique la chercheure associée à ComSanté.

Dans cette optique, Mariette Julien  explique que les critères de beauté permettent de hiérarchiser les gens. «Les personnes minces forment une élite sociale. Leur corps laisse croire qu’ils ont de la volonté, les moyens monétaires de manger des aliments sains ou même qu’ils sont davantage éduqués,» exprime-t-elle. À une époque où le taux d’obésité s’accroît, la minceur prend ainsi de la valeur.

L’organisme ÉquiLibre a dévoilé dans une de ses études que les préjugés à l’égard des personnes rondes auraient augmenté de 66 % depuis la dernière décennie. La chef de campagne de l’organisme, Anouk Sénécal,  note que les conséquences de cette discrimination se font sentir dans les milieux de travail où ils ont moins de chance d’être promu ou même d’être embauché. C’est tout aussi vrai dans le milieu hospitalier où les professionnels de la santé ont tendance à juger les gens de forte taille.  Selon Marie-Claude Paquette, diététiste-nutritionniste, la famille et les amis sont ceux qui mettront le plus de pression.

Devant ce phénomène inquiétant, le groupe ÉquiLibre est convaincu que la fatphobia peut être résolue en démontrant que la santé n’est pas une question de poids, mais bien de mode de vie. «On veut mettre en question les modèles de beauté dans la société et détruire les mythes concernant la grosseur, exprime Anouk Sénécal. Peu importe le poids, l’important c’est d’être en santé.»

Élisabeth Arsenault confie qu’elle ne supporterait pas qu’un membre de sa famille souffre d’embonpoint. «Si ma mère était obèse, cela reviendrait à ce qu’elle soit alcoolique, déclare la jeune femme catégoriquement. Je l’aimerais quand même, mais ça minerait notre relation au quotidien.» Il y a beaucoup de travail à faire pour soulager les fatphobes d’un poids sur la conscience.

***

Un phénomène culturel

La minceur est placée sur un piédestal en Occident depuis les années soixante. Avant cela, il n’y a eu qu’une époque où la maigreur était synonyme de beauté. «Lors du courant romantique au XIXème siècle, il était de mise d’être très maigre et d’avoir l’air malade», explique Mariette Julien.  Les jeunes filles se nourrissaient de jus de citron et se maquillaient les yeux pour imiter des cernes. Elles voulaient donner l’impression d’être tourmentées et faibles.»

Photo: m4r00n3d, Flickr

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *