Mises en cause

Alors que Loto-Québec envisage de diversifier son offre de paris en ligne, la toile propose aux Québécois une alternative qui se joue de la légalité et flirte parfois avec l’immoralité.

Parier sur la valeur de l’or de la semaine prochaine ou sur le prochain gouvernement dans deux ans a été possible pour des internautes de tous horizons. Bourse virtuelle improvisée au sein de laquelle tout, ou presque, pouvait faire l’objet d’une mise, le site irlandais Intrade.com a cessé ses activités le 10 mars dernier pour cause d’irrégularités financières. Pendant 14 ans, l’interface web s’est posée, avec des paris hors du commun, en leader mondial du marché de la prédiction. Comme plusieurs sites de paris en ligne qui n’ont pas obtenu de licence de la Régie des alcools, des courses et des jeux, les mises déposées par l’intermédiaire de Intrade.com étaient illégales au Québec. Si les paris en ligne échappent aux contrôles frontaliers de Loto-Québec, la société d’État tarde à diversifier son offre dans une perspective légale.

«Techniquement, il est illégal de miser de l’argent sur ce genre de site Internet, mais je ne m’en cachais pas du tout», admet Steeve*, uqamien de 22 ans qui a fréquenté Intrade.com quotidiennement pendant trois ans. Initié par des amis du Cégep qui s’amusaient à parier sur le cours de l’or, le féru d’actualités et de politique mise sur la probabilité d’un futur gouvernement majoritaire au Canada en mai 2011 ou sur les chances de voir Sarah Palin accéder à la présidence des États-Unis en 2012. Steeve se défend toutefois de ne pas avoir laissé son argent entièrement aux mains de la chance. «Dans le pari, contrairement aux jeux de hasard, il y a un préambule, un contexte, si tu écoutes l’actualité, tu as de bonnes chances de gagner.» Plusieurs fois par semaine, il mise donc jusqu’à 10$ sur les événements proposés par le site. Son gain maximal ne dépassera cependant jamais 46$.

À ce jour, seul Mise O Jeu, interface web de Loto-Québec, a reçu une licence de la Régie. Lancé en mars 2012, le site proposait jusqu’en février dernier, des paris exclusivement sportifs. Alors que des sites comme Intrade.com offrent depuis plusieurs années toute une gamme de paris non sportifs du plus classique aux plus farfelus, la société d’État annonce le 4 février 2013 qu’elle acceptera les paris sur les Oscars. «On souhaitait évaluer s’il y avait une clientèle potentielle de personnes qui aiment les arts mais qui ne sont pas nécessairement des consommateurs de loteries sportives», explique le porte-parole de Loto-Québec, Jean-Pierre Roy.

Au total, 8 000 mises ont été déposées pour une valeur de 58 000 $ dont le tiers a été déposé le jour même de la cérémonie. «On soupçonne que c’est un nouveau segment de clientèle et les résultats ont été suffisamment intéressants pour qu’on envisage de renouveler l’expérience et d’offrir le pari sur d’autres types de galas européens, américains et peut-être même québécois», explique le porte-parole de la société d’État. Il émet toutefois quelques réserves quant aux paris sur les galas d’ici. «On ne voudrait pas que des gens en coulisses s’en aillent parier sur des résultats qu’ils connaissent d’avance.» Malgré une ouverture aux paris non-conventionnels, la société d’État fait figure basse face à une concurrence mondialement accessible. Loto-Québec ne dispose d’aucune évaluation fiable quant à la participation des Québécois aux sites de paris illégaux. Même son de cloche à la Sûreté du Québec (SQ), où on admet qu’il est impossible de quantifier l’ampleur du phénomène.

Hasarder sur les tabous
En attendant de pouvoir jouer à armes égales avec le marché noir du pari en ligne, Loto-Québec n’en demeure pas moins limitée en terme de diversité de l’offre de pari. Alors que de nombreux sites proposaient dernièrement aux internautes de miser sur l’issue du conclave, pour Loto-Québec, il est hors de question de se lancer dans le marché de la prédiction sur les événements religieux. «On ne croit pas que les citoyens s’attendent à une telle offre de pari de la part de leur société d’État», résume le porte-parole.

Pour le coordonnateur du comité régional de prévention sur les jeux d’argent et les dépendances à la Direction de la santé publique (DSP) de Montréal, Jean-François Biron, la marge de manœuvre de la société d’État est mince. «Loto-Québec, dont le prestige a dégringolé ces dernières années, est obligé d’avoir un certain bon goût dans son offre de jeu. Proposer des paris sur le pape, ça n’aurait pas été bon pour son image», analyse t-il. La DSP demande, depuis plusieurs années, la mise en place d’un comité indépendant qui serait chargé d’analyser le contenu de l’offre de jeu proposée par Loto-Québec ainsi que sa potentielle dangerosité.

Steeve, de son côté, admet qu’il «aurait bien mis un petit deux sur Ouellet». Mais l’étudiant a cessé de miser de l’argent en ligne depuis quelques mois après avoir réalisé qu’une certaine dépendance avait pris la place du jeu.

*Nom fictif

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Intrade.com : parier sur tout et n’importe quoi

Voici des exemples de paris proposés par le site irlandais, Intrade.com, qui a dû fermer le 10 mars. Les participants pouvaient acheter ou vendre des «actions» sur les paris, dont le prix fluctuait en fonction de leur probabilité de survenir.

-Bashar El-Assad ne sera plus le président de la Syrie le 30 juin 2013 à minuit.
-La NASA annoncera la découverte d’extra-terrestres avant la fin de l’année.
-Les Etats-Unis ou Israël bombarderont l’Iran avant le 30 juin 2013.
-Le taux de chômage aux Etats-Unis sera supérieur à 8.7 % le mois prochain.
-En 2014, la température moyenne du globe sera supérieure à celle des cinq dernières années.
-Un tremblement de terre d’une magnitude supérieure à 8.5 se produira en 2013.
-Un minimum de 20 pouces de neige tomberont sur Central Park, à New-York entre le 1er octobre 2012 et le 30 avril 2013.
-Un état européen annoncera qu’il quitte la zone Euro d’ici le 31 décembre 2013.
-L’économie américaine sera en récession en 2013.
-Il y aura quelque part dans le monde une attaque terroriste utilisant une arme de destruction massive avant la fin de l’année.

Illustration: Lisa Traversy

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