Dépoussiérer Balzac

Une nouvelle approche en littérature en est à ses premiers pas en sol uqamien. Bien qu’émergente, celle-ci redécouvre les œuvres en s’attardant aux éléments de la culture populaire.

Dans une banale salle de classe du pavillon De Sève, le monde du livre subit une petite révolution. Une trentaine d’étudiants écoutent, amusés, les soubresauts du professeur de littérature à l’Université de Lorraine en France et fondateur de l’approche ethnocritique, Jean-Marie Privat. Le ton moqueur, mais la voix posée, il tente de convaincre son auditoire d’adopter un nouveau regard sur les textes d’Émile Zola. Délaissant les approches classiques de littérature comparée, l’ethnocritique a pour ambition de comprendre comment chaque œuvre littéraire se réapproprie des éléments de culture populaire ou folklorique pour créer un système de symboles. Première université québécoise à ouvrir ses portes à l’ethnocritique, l’UQAM a de grandes ambitions pour sa nouvelle protégée.

L’utilisation d’éléments de la culture populaire permet de revisiter des personnages ou des phénomènes décrits dans la littérature, croit la chargée de cours en littérature à l’UQAM, Sophie Ménard, qui intègre l’ethnocritique à son cours. «Dans une des œuvres vues en classe, j’ai choisi d’expliquer le concept du fantôme à travers les rites de l’époque, donc à travers cette idée du culture populaire», illustre-t-elle.

L’UQAM, en partenariat avec l’Université de Lorraine, a pu créer en 2005 le premier laboratoire universitaire d’ethnocritique en Amérique du Nord. Des colloques, des activités de recherche et des journées d’études d’envergure peuvent désormais se déployer plus aisément. Ce laboratoire permet aussi des ouvertures de recherche aux étudiants qui s’intéressent à cette approche dont l’UQAM a l’exclusivité. «Ça crée des échanges professionnels et intellectuels intéressants», observe la doctorante en études littéraires à l’UQAM, Sophie Dumoulin, qui a elle-même utilisé l’approche ethnocritique pour sa thèse de doctorat.

Ce qui à l’origine était un partenariat entre deux universités commence à se développer de manière non-officielle. Des professeurs de Concordia et de l’Université de Montréal (UdeM) manifestent eux-aussi leur intérêt pour l’approche. L’UdeM tiendra d’ailleurs deux journées d’études sur le sujet cet été. Les universités de la Nouvelle-Écosse et de Strasbourg, en France, ont également manifesté leur intérêt à la professeure au département d’études littéraires à l’UQAM et membre régulière du laboratoire, Véronique Cnoakert. «Un réseau international se développe doucement», note cette dernière.

Pour Sophie Dumoulin, c’est l’ouverture de l’Université du peuple qui permet à l’ethnocritique d’élargir ses horizons. «Il y a des groupes de recherches à l’UQAM qu’on ne retrouve pas dans d’autres universités québécoises ou montréalaises», constate-t-elle. Jean-Marie Privat, du même avis, salue l’avant-gardisme uqamien. En France, l’approche n’est pas aussi bien reçue.

Sophie Ménard ne s’inquiète cependant pas des futures retombées de l’ethnocritique. «Puisqu’il s’agit d’une discipline encore jeune, c’est normal d’avoir un champ d’activité encore restreint, nuance-t-elle. Présentement, il y a seulement trois professeurs à l’Université de Lorraine et à l’UQAM qui font de l’ethnocritique à temps plein.» Elle précise au passage que l’approche n’a que vingt-cinq ans et que plusieurs mordus étoffent encore mémoires et thèses.

Les étudiants interpellés

Mélange de critique littéraire, de sociologie et d’anthropologie, l’ethnocritique reçoit un accueil chaleureux de la part des étudiants en littérature. «Ils sont intéressés parce qu’on s’intéresse à la société, à la manière dont les gens s’organisent et vivent entre eux», croit Sophie Dumoulin. Selon sa collègue Sophie Ménard les élèves remarquent rapidement que l’ethnocritique permet une lecture originale de textes très connus. Le thème des rites de passages entre l’enfance et l’âge adulte fascine particulièrement les étudiants. «Je crois que ça les touche dans la mesure où eux-mêmes sont dans ce processus», remarque-t-elle. «Même pour un auteur aussi lu et étudié que Victor Hugo, on découvre qu’il y a encore des choses à dire, appuie Sophie Dumoulin. On trouve des éléments qui étaient sous nos yeux depuis longtemps et qui ont fait l’objet de peu de recherches.»

Cette approche qui désire donner un peu d’exotisme aux œuvres classiques s’est principalement intéressée au 19e siècle. Les ouvrages contemporains ne sont, par contre, pas relégués aux oubliettes. «Les livres de Nelly Arcan, bien que très actuels, renferment aussi du folklore, car elle utilise certains éléments des contes dans ses textes et elle traite des rites de passage féminins», souligne Véronique Cnoakert.

Entre Zola et Arcan, la société s’est transformée, mais l’analyse de la culture populaire demeure intemporelle. Pour l’instant, les enseignements de Jean-Maire Privat ont droit à une case horaire à l’UQAM. Reste à voir si l’Université Concordia et l’UdeM emboîteront le pas et se laisseront séduire par son approche.

 

 

 

 

 

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