Arcades archaïques

Si Pac-Man et Tetris resteront longtemps dans les annales, les consoles à domicile auront tôt fait de creuser la tombe des endroits qui ont fait vivre ces célèbres jeux.

Dans la salle de jeux électroniques Amusement 2000, sur la rue Ste-Catherine, le bruit est infernal. Au plafond, des sculptures écarlates dessinent des formes étranges. Des lumières dansent sur les murs au rythme de la cacophonie ambiante. Les joueurs ont les yeux rivés sur les écrans et les doigts se pressent sans relâche sur un éventail impressionnant de gâchettes, de joysticks et de reproductions d’armes grandeur nature. Dès que les fatidiques mots game over, insert coin to continue apparaissent, les plus passionnés obéissent, refusant leur mort virtuelle. Une ambiance de dernier tour de piste flotte dans l’air. En déclin depuis quelques années, les arcades du Québec sont sur le respirateur artificiel et la réserve de jetons s’épuise.

La période de 1970 à 1985 est considérée comme l’âge d’or des jeux d’arcades. Le phénomène était si populaire que des films comme Tron et l’opéra rock Tommy, du groupe The Who, se sont inspirés du sujet. «Il faut comprendre que, dans le temps, les arcades se voulaient des lieux pour découvrir de nouveaux jeux. Elles étaient la fine pointe de la technologie et supérieures aux premières consoles familiales, comme l’Atari», avance le concepteur chez Beenox et professeur de jeux vidéo au Cégep de Limoilou, François Taddei.

L’apparition du Nintendo, en 1985, a véritablement amorcé la chute des arcades. «Pendant un certain temps, même si elles étaient très coûteuses à fabriquer, elles permettaient au joueur de vivre une expérience incomparable à celle qu’il pouvait vivre à la maison», croit François Taddei. Professeur adjoint en design des arts numériques à l’Université Concordia et expert en jeux vidéo, Jonathan Lessard, partage ce point de vue. «C’est la pénétration des consoles domestiques dans les foyers ainsi que leur évolution qui ont causé la débandade des arcades.»

Les salles d’arcades étaient un lieu de socialisation pour la communauté des joueurs, selon le professeur. Le spécialistes des nouveaux environnements numériques, Jonathan Roberge, n’adhère toutefois pas à cette théorie. «On a toujours dit que les arcades étaient des lieux de rencontres pour les jeunes. Pourtant, il s’agissait d’endroits super glauques. C’était bruyant, rempli de gens qui ne se parlaient pas et il y avait peu de filles. C’était presque l’antithèse de la société réelle.»

À ses yeux, c’est l’apparition d’Internet qui a enfoncé le clou dans le cercueil des arcades. Jonathan Roberge explique qu’Internet a permis une plus grande accessibilité et a ensuite tracé un modèle de compétition diversifiée des jeux vidéo. «Ce n’était pas très ludique de jouer seul sur un ordinateur et ça pouvait être lassant de devoir se rendre aux salles d’arcades souvent contre les même adversaires», note-t-il. Il raconte qu’avec les jeux en ligne, les joueurs pouvent désormais se trouver de nouveaux adversaires et quitter la partie quand bon leur semble. «Internet a été la dissociation du lieu et du jeu», avance-t-il.

Toujours vivant

Si les arcades ont un pied dans la tombe, elles se débattent pour sauver leur peau. «Ces consoles vintages ne sont pas mortes. Le Walkman et la cassette le sont. Les arcades ont marqué l’imaginaire, elles ne sont pas seulement des reliques de la culture populaire», avance Jonathan Roberge. Les arcades font encore partie d’un marché rentable dans certains pays comme le Japon. «En 2009, le quart des revenus de l’industrie du jeu vidéo provenait de bornes d’arcades au pays du Soleil levant», fait observer François Taddei. Selon lui, l’explosion démographique de la Chine est une des principales raisons de cet essor, puisque les Chinois sont les principaux clients de l’industrie nipponne des jeux vidéo.

Au Québec, l’héritage de ces salles de jeux électroniques se fait encore sentir. Les cinémas possèdent souvent quelques exemplaires de ces vieilles consoles et les machines de loterie vidéo recyclent le concept des arcades. Certains jeux récents sont même un clin d’œil aux consoles classiques, comme Dance Dance Revolution et Rockband.

«Ça fait 30 ans qu’on est ouvert et on s’assure d’avoir toujours de nouvelles machines pour nos clients», s’enthousiasme le commis d’Amusement 2000. Autour de lui, deux joueurs s’affairent à tuer des clowns lanceurs de dynamites, alors qu’un jeune homme s’essouffle en dansant sur un vieux hit des années 1990. Le cliquetis des jetons résonnent dans la salle, comme pour rappeler que les arcades ne sont pas encore tout à fait game over.

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Le déclin des arcades, un reportage d’Antonin Besner

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Illustration : Émilie Drapeau

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