Écoute-moi ben mon ti-gars!

L’autre jour, je prenais la 97 pour me rendre sur la rue Mont-Royal. L’autobus était plein à craquer. Le monsieur à côté de moi avait une haleine de jambon. Au fond, un adolescent d’une quinzaine d’années écoutait le succès du groupe ABBA, Dancing Queen, en turlutant. Pauvre gars, il ne savait pas que tout le monde l’entendait.

Mais ce n’est pas là où je veux en venir.

Sur la banquette en face de moi, à côté de l’homme qui sent le jambon, une femme assise avec son fils rappelait à sa progéniture de ne pas mettre ses doigts dans sa bouche.

Quelques secondes plus tard, la sonnerie du téléphone cellulaire de la dame a sonné, sortant ainsi de leur stupeur les passagers entassés dans le véhicule articulé.

«Aïe, salut Pierre, comment ça va?» demande la femme d’une trentaine d’années.
S’il y a ben quelque chose qui me tape sur les nerfs dans la vie, c’est bien les gens qui content leur vie à tue-tête au téléphone dans le transport en commun.

«Pourquoi est-ce que le monsieur dehors, il demande de l’argent aux gens qui marchent dans la rue», questionne le petit Félix en regardant par la fenêtre de l’autobus.
—Attends une minute Pierre. Félix, maman parle au téléphone, dit la mère agacée avant de reprendre sa conversation de plus belle. Tu ne sais pas quoi, Félix a eu la meilleure note de sa classe en mathématiques, on est assez fier de lui!
—Mais pourquoi est-ce que la madame, elle marche avec une canne?
—Félix, je PARLE au téléphone, s’exclame la mère, visible- ment agacée.»

En tout, la discussion a duré une quinzaine de minutes. En raccrochant, la mère s’est tournée vers sa progéniture.

«Qu’est-ce qu’il y a? s’enquiert la mère auprès de son fils sur un ton de reproche.
—Tu crois qu’on pourrait aller m’acheter un livre en arrivant à la maison?
—On ne peut pas mon grand, on n’a pas beaucoup d’argent ces temps-ci.
—Pourtant, papa vient de s’acheter une souffleuse neuve.» La réplique a eu un effet de massue sur la mère de Félix.

«Excuse-le, m’exhorte-t-elle en me regardant, cherchant visiblement mon approbation. Il aime ça parler.»

Mal à l’aise, j’ai opiné du bonnet sans grand enthousiasme.

«Maman te l’a dit, dans l’autobus, il ne faut pas déranger les gens. Si tu fais tes devoirs en arrivant à la maison, on ira peut-être t’acheter un livre.»

***

Le Sommet sur l’enseignement supérieur se mettra en branle bientôt à Montréal. Lors de cette grande consultation, on écoutera le point de vue de tout le monde, foi du ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, Pierre Duchesne. Les plus écervelés pourront même prononcer l’infâme expression «gratuité scolaire» lors de cette réunion.

En entrevue avec le Montréal Campus, Pierre Duchesne a affirmé : «La gratuité, ça coûte cher. On va organiser un sommet, pour que tout le monde puisse exprimer son opinion dans le respect, mais la première ministre a déjà dit qu’il y a un préjugé favorable à une forme d’indexation.» …

Suis-je le seul à rire jaune en lisant ces lignes?

Venez, venez jeunes étudiants brillants, exprimez-vous pendant que c’est le temps. Quand on aura fait à notre tête, ne venez pas dire qu’on ne vous a pas écouté.

On aurait tort de prendre les étudiants pour des enfants.

Étienne Dupuis
Chef de pupitre UQAM
uqam.campus@uqam.ca

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