À tout casser

Les employés exacerbés par leur patron sont soudainement pris par l’envahissant besoin de détruire un bureau de travail pour calmer leurs pulsions. La destruction constructive les allume, au détriment, peut-être, de leur conscience écologique.

Graig William s’est lancé en affaires après avoir reçu les meilleurs voeux des investisseurs invités de l’émission Dans l’oeil du dragon diffusée à la télé de Radio-Canada. Les dragons n’y ont vu que du feu et ont été séduits par l’action de démolir des objets pour calmer
leurs frustrations.

Dans un grand entrepôt grisâtre du quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal, le président de Casse-Cité Graig William fait l’éloge du concept de son entreprise de destruction constructive. Le principe est connu en Asie et en Europe, mais il s’agit d’une première sur le continent. Il est le premier à détruire de manière légale en Amérique du Nord, puisque les articles utilisés sont en fin de vie. Après leur destruction, ils seront triés, envoyés aux écocentres de Montréal et recyclés. Le principe de gestion éco-responsable des déchets laisse toutefois les écologistes pantois.

«Lorsqu’on réduit un objet en charpie, les chances de réemploi diminuent et les probabilités qu’on mélange les différentes matières dans les bacs augmentent», explique Jérôme Cliche, spécialiste de la réduction des déchets chez Recyc-Québec. Pour éviter que les matières ne se mélangent, Graig William devra faire des nettoyages réguliers de l’aire récréative. «Plus les morceaux sont petits après destruction, plus c’est difficile à trier, plus c’est long et plus ça coûte cher», renchérit Jérôme Cliche en ajoutant que la tâche pourrait parfois décourager les recycleurs. Il se permet d’ailleurs de douter que les articles utilisés par Casse-Cité soient réellement en fin de vie.

Le directeur d’Environnement Jeunesse, Jérôme Normand, insiste pour sa part sur la nécessité de réutiliser au maximum un article avant de le recycler. «Avant de mettre un bureau au chemin, il faudrait s’assurer qu’il ne pourrait pas être utilisé par un organisme communautaire ou une école par exemple», explique l’écologiste. Selon lui, les bureaux détruits pourront être réduits en copeaux à l’écocentre et envoyés dans l’État de New York ou ailleurs pour y être brûlés à des fins de production énergétique. Il ajoute que la Loi québécoise sur la qualité de l’environnement est mal définie à ce sujet. «On considère cette méthode comme de la valorisation énergétique, car l’utilisation de l’énergie calorifique du bois, lorsque brûlé, évite le gaspillage de celui-ci.» Selon Jérôme Normand, «une manière plus écologique de revaloriser l’énergie du bois serait le compostage ou la réutilisation pour en faire du matériel de contreplaqué».

Pour Graig William, il y a une ligne fine à ne pas dépasser pour qu’un «objet soit encore le fun à péter». «Quand le client arrive et que la chaise est vraiment délabrée, je pense que l’expérience n’est vraiment pas la même, se reprend-il. Le trip, vraiment, c’est de pouvoir casser quelque chose qui n’a pas l’air nécessairement neuf, mais qui est dans sa forme initiale.» D’ailleurs, Casse-Cité pourra se servir chez son voisin, un entrepôt de saisies de faillites, lorsque les échéances de récupération des biens tomberont.

Détruire autrement 

Graig William se fait critique à l’égard des projets similaires aux États-Unis. «Là-bas, par exemple, ils n’enlèvent pas l’intérieur de télévisions avant de les casser, dit-il, étonné. Toutes les petites pièces électroniques sont souvent réutilisables!» C’est par ailleurs Éco-collecte qui récolte pour lui des télévisions laissées dans les rues. «Au lieu qu’elles aillent à l’enfouissement, Éco-Collecte fait le tri des matériaux internes et nous emmène la télévision une fois vide.» L’entreprise repart ensuite avec une télévision sur laquelle un client se sera défoulé.

Casse-Cité n’est pas le seul endroit à Montréal à offrir la possibilité de détruire des objets. Au restaurant le Robin des bois de la rue Saint-Laurent, depuis cinq ans, des clients peuvent casser des assiettes. «Les morceaux cassés vont à la poubelle ou des artistes viennent en chercher pour leurs oeuvres», lance un des gérants du restaurant à but non-lucratif, George Konpoyiannis.

Selon Brett Horrocks, co-fondateur d’Eco-Collecte, il n’y a pas de programme de recyclage de la porcelaine et de la céramique. «Cela fait peu de différence si une assiette est enfouie craquée ou en mille morceaux.» Malgré tout, Graig William ne démord pas. «Tout ce que je veux, c’est que quand quelqu’un a eu une mauvaise journée, il ressorte d’ici avec un sourire, et là je vais me dire mission accomplie.»

Jérôme Normand d’Environnement jeunesse affirme qu’il «est difficile d’être purement écologique » et à la fois être entrepreneur. Selon lui, ce serait au client de faire des choix critiques, à savoir s’il a besoin de briser du matériel pour gérer ses émotions et ainsi se décourager de porter la main sur un individu.

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Le sens de la casse

Nicole Tremblay, psychologue, acuponctrice et professeure de méditation tao, croit que la destruction constructive valorise l’expression de la colère. Elle utilise d’ailleurs l’approche bioénergétique avec ses patients pour «faire sortir la colère»; ils dessinent l’objet de leur frustration, placent le dessin sur un coussin et le frappent ensuite. «C’est à un niveau supérieur que de briser un objet, parce qu’il y a un sens et un travail derrière.» Graig William souhaite «offrir un service qui pourrait être comme une thérapie». Nicole Tremblay estime que ce concept «est de la casse pour de la casse, un processus qui mènerait à une non-conscience de la colère». Elle proposerait à Graig William d’ajouter une salle de réflexion pour les clients ou d’offrir l’aide d’un intervenant sur place. Selon la psychologue, «il ne faut pas juste recycler les assiettes, mais aussi les émotions.»

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De la collecte au recyclage

Étape 1 : Éco-Collecte rassemble des objets trouvés dans les rues.
Étape 2 : Éco-Collecte fait un tri des matières dangereuses
et souillées et vide les boîtes des téléviseurs.
Étapes 3 : Éco-Collecte rapporte le matériel à Casse-Cité.
Étape 4 : Les clients brisent les objets.
Étape 5 : Casse-Cité trie les débris.
Étape 6 : Éco-Collecte reprend les débris et les re-trie.
Étape 7 : Éco-Collecte transporte les débris recyclables vers
les écocentres.
Étape 8 : Le matériel est recyclé ou envoyé à l’enfouissement.

Crédit photo: Flickr

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