Musées sous surveillance

Sur le portail d’accueil du Musée canadien des civilisations, la reine vous fait son traditionnel salut de la main, insouciante. À Ottawa les partis d’opposition accusent d’une poigne beaucoup plus ferme l’appropriation idéologique du patrimoine canadien.

Les modifications du nom et de la mission du Musée canadien des civilisations, annoncées par le gouvernement Harper en octobre dernier, ont ramené à l’avant-scène la question du traitement de l’histoire dans nos musées. Alors que la communauté muséale a prudemment applaudi l’annonce, les partis d’opposition à Ottawa ont vertement critiqué la décision des Conservateurs. La volonté du gouvernement de vouloir célébrer la guerre de 1812 et le jubilé de la reine n’ont fait qu’amplifier leurs craintes d’ingérence gouvernementale dans les affaires muséales. Selon eux, le gouvernement se servira du nouveau musée pour présenter une vision partisane de l’histoire canadienne.

Pour les partis d’opposition, cette décision s’est prise sans démarches consultatives et sert des intérêts politiques. Pour le chef du Bloc québécois Daniel Paillé, le processus consultatif initié par les Conservateurs n’est que mascarade. «Les Conservateurs ne nous ont pas habitués aux consultations. La tournée pan-canadienne de consultation et le site Internet qui va avec sont plus un amuse-gueule qu’autre chose.» Le député libéral de Westmount-Ville-Marie, Marc Garneau, dénonce quant à lui l’ingérence du gouvernement canadien dans la transmission de l’histoire. «Le gouvernement veut contrôler le message en s’ingérant dans un endroit où il n’a pas d’affaires», soutient-il. Selon lui, il est légitime de modifier un musée en fonction des évolutions de la société, mais il pense que les Conservateurs vont trop loin en lui donnant une vocation exclusivement historique. Pour le député, ces changements occasionneront en outre des dépenses inutiles pour les contribuables.

Le professeur d’histoire au Cégep du Vieux Montréal et à l’UQAM Gilles Laporte, qualifie de «procès d’intention» les inquiétudes exprimées parmi les partis d’opposition sur la présence anticipée de plus de monarchie et de militarisme dans le nouveau musée. «Cerner le nationalisme de Harper uniquement selon ces deux éléments est trop simpliste», prétend-il. Il pense que l’aspect militaire restera au Musée de la guerre et n’investira pas en masse le nouveau musée d’histoire. Quant aux symboles monarchiques, leur considération sera marginale, avance-t-il.

Le chef du Bloc québécois, Daniel Paillé se défend de faire un procès d’intention aux Conservateurs. La décision de changer le nom du Musée canadien des civilisations, qui jouissait déjà d’une grande popularité, survient selon lui dans une logique idéologique inquiétante. «Les dépenses entourant la promotion de la guerre de 1812, les faits tronqués qu’ils y ont présentés, le remplacement des tableaux de Pellan au Ministère des affaires étrangères par des portraits de la reine font qu’on se pose beaucoup de questions sur le genre d’histoire qu’ils vont y mettre.»

«Un musée c’est toujours un projet idéologique», tranche pour sa part le professeur de science politique au Collège Jean-de-Brébeuf, Jano Bourgeois. «Les Conservateurs s’approprient l’histoire pour construire l’imaginaire national», poursuit-il. Gilles Laporte abonde dans le même sens. Pour l’historien, les Conservateurs cherchent à parler de l’expérience canadienne avec des valeurs positives, en puisant dans le passé pionnier et les conquêtes du pays, sans se préoccuper du Québec, pour aller chercher une base citoyenne et susciter sa fierté canadienne. À ses yeux, le changement de mission du musée est le résultat direct de cette nouvelle approche.

Deux solitudes, deux visions opposées 

L’utilisation du mot «civilisation» dans l’appellation du Musée canadien des civilisations plaçait l’histoire nationale dans une perspective multiculturelle selon Gilles Laporte. Le changement pour le mot «histoire» vient revaloriser l’appartenance canadienne. «En ce sens, je ne peux qu’applaudir pour le Canada», souligne-t-il. Il souhaite par ailleurs que le Québec se recentre, sur sa propre histoire, à l’image de ce que fait le Canada.

«La muséologie québécoise et canadienne fonctionne depuis trente ans selon ce paradigme multiculturel», affirme Gilles Laporte. À travers les expositions, on fait des portraits de gens d’une communauté en occultant la dimension collective et nationale de l’événement. Il cite le Musée Pointe-à-Callière et le Musée de la civilisation de Québec qui fonctionnent beaucoup selon cette façon de faire. Les muséologues sont attachés idéologiquement à la façon multiculturelle de traiter l’histoire. Toutefois, ils sont réticents à critiquer le changement de nom du Musée des civilisations, puisqu’ils dépendent financièrement du gouvernement.

Le professeur d’histoire à l’UQAM et à l’Université de Montréal, Michel Sarra-Bournet, reconnaît que ce changement de paradigme dans la vision de l’identité et de l’histoire canadienne donne une nouvelle direction au musée, mais ne s’en inquiète pas outre-mesure. «Je ne crois pas que ce soit un foyer de propagande, car le musée est indépendant. Il n’y aura pas de contrôle du contenu comme il y a eu avec la promotion de la guerre de 1812 et avec les portraits de la reine au ministère des Affaires étrangères.»

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Une nouvelle image de l’identité canadienne à l’international

La volonté des Conservateurs de se réapproprier l’imaginaire collectif, la «canadiennité» en repensant le mandat du Musée des civilisations s’exprime aussi dans le nouveau passeport présenté dernièrement, selon la professeure adjointe à l’École des études canadiennes de l’Université Carleton, Anne Trépanier. «Le lien avec le nouveau passeport est intéressant, car il témoigne aussi de la même volonté des conservateurs de refonder les institutions, l’histoire et la géographie du Canada. On y retrouve un ensemble des éléments canadiens unificateurs, comme entre autres les trois symboles autochtones, la ville de Québec, les Chutes Niagara, le Bluenose et l’ancien premier ministre Laurier, pour ne nommer que ceux-là», mentionne-t-elle.

 

Photo: Flickr

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