Fahrenheit 451

À 21 ans, un jeune travailleur peut déjà commencer à en avoir marre d’accepter des petites jobines, «temporairement», pour pouvoir payer son loyer, ses études et ses quelques autres modiques dépenses. S’il est légitime pour un jeune dans la vingtaine de restreindre ses critères de sélection dans une recherche d’emploi, ce l’est d’autant plus pour un travailleur dans la quarantaine qui vient de perdre son boulot.

Dans la foulée du titanesque projet C-38 du gouvernement Harper, les réformes de l’assurance-emploi pourraient bien voir des chômeurs forcés d’accepter n’importe quelle offre d’emploi dont le salaire représente 70 % de leurs revenus antérieurs.

Pour bénéficier des prestations d’assurance-emploi, un citoyen devra faire état de ses démarches actives, à concurrence d’au moins deux tentatives par jour, cinq jours semaine, dans sa recherche d’emploi. C’est ridicule. C’est sûr que plus ça va et plus il s’éloigne de ses critères de recherche initiaux simplement pour rendre des comptes au gouvernement. Et qu’en est-il des travailleurs saisonniers des industries maraîchères, des pêcheries et du tourisme? Ils iront flipper une couple de burgers 5 mois par année?

Ce qui me happe au plus haut point, c’est que de plus en plus d’hommes et de femmes de 55 ans et plus, qui n’ont pas passé leur vie à chômer allègrement, paresseusement, se retrouvent dans la rue. Ils perdent tardivement leur emploi et, vieillissant, n’arrivent pas à en trouver un autre. Sans l’espoir de percevoir des rentes, leur retraite se passe à la rue.

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Au moment d’écrire ces lignes, dans moins de 24h, le monde entier saura qui sera le nouveau calife, le nouveau pilote, le nouveau père de la patrie. Le monde entier saura qui de Romney ou d’Obama sera président des États-Unis.

Imaginons deux secondes — attention coeurs sensibles s’abstenir — que Mitt Romney soit élu. Ma première réaction sera d’abord la même, sinon pire, que lorsque Harper a été réélu majoritaire. Je vais plus que tomber en bas de ma chaise, je vais littéralement me pitcher du haut de ses quatre pattes. Le lendemain matin, je me réveillerai dans un monde où la pire dystopie de Ray Bradbury a déjà commencé dans mon innocent sommeil. J’espérerai me réveiller d’un long et pénible cauchemar au cours duquel le sort de la planète a basculé dans les mains d’un horrible prophète, pour me pincer, pensant rêver encore, puis me rendre à la triste évidence. Si Romney est élu, on peut s’attendre à ce qu’on retourne à la même logique selon laquelle les systèmes de réglementations en matière d’économie, d’environnement, you name it, seront assouplis dans les intérêts des grandes entreprises de ce monde.

La même pensée magique selon laquelle pour essuyer les difficultés que connaît l’industrie de l’automobile en Ohio, notamment, il ne faudrait pas intervenir comme Obama l’a fait, mais plutôt laisser agir les lois du marché, laisser GM faire faillite pour qu’elle renaisse miraculeusement de ses cendres. Tu me niaises-tu là? Bref, j’espère vraiment que les électeurs de ce swing state n’auront pas voté aveuglément en fonction de cette sainteté de logique de spéculations. La même qui a fait basculer les États-Unis et la terre entière, un coup parti, dans la pire récession depuis les années 30.

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Fahrenheit 451 est paru en 1955 et imaginait le pire de ce que la science-fiction pouvait prédire. Des fois je me dis que j’exagère, mais d’autres fois je me dis qu’on n’en est pas si loin. Si Mitt Romney remporte les présidentielles, on peut déjà se préparer à cacher nos livres pour qu’ils ne passent pas au feu.

Émilie Bergeron
Chef de pupitre Société
societe.campus@uqam.ca

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