De Montréal à Guayubin

Dans le secret le plus absolu, étudiants et juristes se donnent corps et âme pour faire avancer les droits de l’Homme.

18 juin 2000. Guayubin, près de la frontière entre Haïti et la République Dominicaine. Quatre militaires dominicains ouvrent le feu sur un camion dans lequel prennent place des migrants haïtiens. Bilan du massacre: sept morts et plusieurs blessés. Douze ans plus tard, le jugement de la Cour interaméricaine des droits de l’homme se fait toujours attendre. À l’UQAM, une délicate écharpe tissée à la main est accrochée sur le mur d’un local confidentiel où même l’équipe de l’entretien ménager ne peut entrer. Une petite note y est épinglée: «En unissant nos forces, nous contribuons à rendre le monde meilleur.» Portrait de la Clinique internationale de défense des droits humains de l’UQAM (CIDDHU).

La note a été rédigée par Natalia Lippman Mazzaglia, une avocate argentine spécialisée dans la défense des droits humains. En 2010, elle a été l’une des spécialistes qui travaillent, chaque année, en partenariat avec les étudiants de la CIDDHU. La clinique fait avancer des causes où les droits de l’Homme ont été bafoués tout en offrant une aide gratuite aux victimes concernées. En plus des juristes et des professeurs qui les supervisent, chaque groupe de deux ou trois étudiants travaille en étroite collaboration avec des organisations non gouvernementales sur des dossiers en provenance des quatre coins de la planète. Cette année seulement, ils ont entre autres oeuvré sur un cas de violation des droits humains en Russie, l’élaboration de documentation pour deux musées canadiens et fait avancer des dossiers de discrimination des Autochtones.

Depuis sa fondation en 2001, la CIDDHU a acquis une expertise dans plusieurs domaines juridiques liés à la défense des droits humains. Seule clinique du genre dans toute la francophonie, une vingtaine d’étudiants en droit et au baccalauréat en relations internationales et droit international (BRIDI) y oeuvrent chaque session. Il s’agit pour eux, d’une occasion unique de mettre en pratique leurs connaissances, puisque leur cheminement universitaire est majoritairement théorique. Leur participation est créditée et ils peuvent prendre le cours deux fois durant leur formation. «Nous sommes en mesure de mieux comprendre la dimension humaine derrière la théorie, ce qui nous rend plus sensible à la nécessité de faire notre travail correctement», explique Coralie Riendeau-Fournier, une étudiante au BRIDI qui, cette session, entame sa deuxième participation à la clinique.

La coordonnatrice de la CIDDHU, Michelle Langlois, est elle aussi restée attachée à la clinique après avoir pris le cours. Avant d’occuper ses fonctions actuelles, la jeune femme qui entrera au Barreau en janvier prochain a d’ailleurs prolongé son expérience à la clinique en effectuant un stage au Cambodge, pays au coeur du dossier sur lequel elle avait planché. Ce stage, selon elle, n’aurait peut-être jamais eu lieu n’eût été de sa participation à la CIDDHU. «Avec la clinique, j’ai collaboré avec eux et c’est comme ça que j’ai pu avoir le stage», raconte celle qui, à titre d’experte en enseignement clinique, s’est aussi rendue en Asie pour aider à la mise en place de l’équivalent de la CIDDHU dans une université thaïlandaise.

Le massacre de Guayubin

Les étudiants de la clinique se relaient depuis sept ans sur le dossier de Guayubin. Session après session, une nouvelle équipe fait avancer le dossier. Non seulement les victimes vivent avec les conséquences des blessures et des pertes infligées, mais elles ont également été emprisonnées arbitrairement et expulsées du pays. La cause a d’abord été entendue par un tribunal militaire dominicain, malgré le désir des victimes de voir les accusés comparaitre devant un tribunal civil. Les soldats ont été acquittés et le tribunal en question a statué ne pas avoir comme mandat la réparation des torts faits aux victimes. Ces dernières se sont ensuite adressées à la Cour suprême du pays qui les a déboutées à son tour. Grâce au travail de la CIDDHU et de groupes de défense des droits de la région, la cause a finalement été portée à la Cour interaméricaine des droits de l’homme en 2011. Le jugement sera rendu public dans les prochains jours. Les attentes sont grandes envers l’organe de justice qui a, par le passé, réprimandé sévèrement des pays contrevenant aux droits de l’Homme. «J’espère que le gouvernement dominicain va changer ses lois en fonction du respect des droits humains et qu’il indemnisera les victimes. On souhaite que le jugement crée un précédent en matière de discrimination des travailleurs migrants», confie Karen Reyes, une étudiante d’origine mexicaine qui a travaillé sur le dossier la session dernière. Elle s’est attelée à démêler et organiser la preuve, a participé à la sélection des témoignages des victimes pour le procès et a traduit le dossier.

Après sept ans de travail acharné, la CIDDHU attend avec fébrilité le dénouement de l’histoire. En parallèle, les actuels étu- diants de la clinique font avancer d’autres dossiers d’envergure. Des dossiers qui, pour le moment, sont comme le local où il sont élaborés: confidentiels.

 

 «En unissant nos forces, nous contribuons à rendre le monde meilleur», annonce la note sous l’écharpe à l’entrée du local secret de la CIDDHU. Voilà tout ce que le Montréal Campus a eu le droit de photographier.

Crédit photo: Flickr, Justine Gaignard Parent

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