Cauchemar à six pattes

Aux prises avec d’indésirables colocataires, des habitants des résidences quittent devant le laisser-aller des responsables.

Chaude soirée d’août. Jean-Philippe Barrière se lance dans le grand ménage de sa chambre des résidences de l’UQAM, rue Sanguinet. Sous son lit, il remarque d’étranges petites bestioles à longues pattes. Les démangeaisons qui le tracassent depuis quelque temps s’expliquent alors; des punaises de lit occupent la pièce. Malgré la visite prompte d’un exterminateur chez Jean-Philippe, le problème persiste. Les responsables des résidences uqamiennes surveillent peu le déroulement des opérations d’extermination, laissant place au laxisme.

«Il avait l’air pressé, constate Jean-Philippe, en parlant de l’expert de la compagnie Steritech qui lui a rendu visite le 17 août dernier. Quelques minutes après être entré, il s’est plaint que la chambre n’était pas prête.» L’uqamien n’a pas reçu de directives claires sur la façon dont il devait préparer son logement au passage du spécialiste. «Walid Adhieb, le concierge à ce moment-là, m’avait dit de ne pas m’énerver et de passer l’aspirateur. Je n’ai pas eu d’autres indications.» Organiser son logement en vue d’un traitement demande pourtant beaucoup plus que cela, précise le spécialiste en gestion parasitaire et président des entreprises Extermination Maheu, Harold Leavey. «Tous les meubles doivent être vidés. Les vêtements et la literie doivent être lavés, puis mis dans des sacs hermétiquement fermés.» Après avoir lancé sa remarque, l’exterminateur asperge en partie la chambre de Jean-Philippe. Il inspecte les deux autres chambres du logement, sans y faire de traitement. Deux jours plus tard, c’est avec dégoût que Vincent*, un autre résident de l’appartement, fait la connaissance des bestioles dans la salle de bain et dans son lit, dont les draps sont tachés de sang.

L’histoire de Jean-Philippe est un cas isolé, aux yeux du directeur du Service des entreprises auxiliaires de l’UQAM, André Robitaille. «Règle générale, l’entreprise traite toutes les chambres d’un logement et les appartements voisins.» L’administration des résidences fait pleinement confiance aux exterminateurs pour prendre cette décision, ajoute-t-il. André Robitaille n’est toutefois pas témoin des opérations. Il s’occupe de la signature des contrats entre l’UQAM et les entreprises. «Lorsqu’on croit qu’il y a un problème, on fait une petite enquête dans le bâtiment», indique-t-il. Le concierge et les exterminateurs sont donc seuls à gérer la situation. Le directeur général québécois de la compagnie Steritech, en charge de l’extermination aux résidences, Michel Rochon, n’a pas voulu répondre aux questions du Montréal Campus concernant les méthodes de travail de ses experts.

Selon la plupart des entreprises d’extermination, il faut traiter tous les appartements adjacents à celui qui est infecté, puisque les punaises de lit passent à travers les murs. Tous les étages d’une bâtisse doivent être vérifiées, parce que les étudiants se côtoient tous dans la buanderie commune, expose l’expert Harold Leavey. Ne traiter qu’une chambre à la fois ne fait que déplacer le problème, précise-t-il. «Les punaises qui survivent fuient le produit chimique. Elles migrent dans les pièces qui n’ont pas été traitées.» C’est peut-être pour cette raison que Vincent a trouvé des punaises de lit ailleurs dans l’appartement quelques jours après le passage de l’exterminateur, estime-t-il. Il est aussi probable que des punaises déjà présentes dans sa chambre se soient reproduites.

Las de partager son lit avec des bestioles aux tendances vampiriques, Jean-Philippe déménage chez ses parents de manière précipitée. Il n’a pas revu de punaises de lit depuis. Le 1er septembre, l’ancien concierge, Walid Adhieb, intercepte son ex-colocataire, Vincent. L’employé l’informe que son appartement devait être vide avant le 4 septembre, date de la prochaine visite de l’exterminateur. L’étudiant n’a plus rencontré ces visiteurs indésirables dans l’appartement après le traitement, mais il en remarque parfois dans le corridor de son étage. Il a rompu son bail à la mi-septembre. Deux autres étudiants habitent maintenant dans les anciennes chambres de Vincent et de Jean-Philippe. Un des nouveaux locataires, arrivé dans la semaine du 24 septembre, affirme ne pas avoir vu de punaises de lit à ce jour. Questionné quant à la façon de préparer une chambre à la venue d’un exterminateur, le nouveau concierge Marouene Chebi se contente d’un conseil. Selon lui, l’étudiant n’a qu’à passer l’aspirateur.

*nom fictif

Crédit illustration: Dominique Morin

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