Colocation délicate

Enfouis dans leurs vêtements dépareillés, des sans-abris se réfugient à l’UQAM pour se réchauffer. Une partie de la communauté universitaire reste plutôt froide à l’idée de tolérer ces visiteurs.

Mario Amatto, quinquagénaire, vit dans la rue. C’est un habitué de la bibliothèque de l’UQAM. Quelques fois par semaine, il s’y installe avec discrétion pour lire les journaux, consulter ses courriels ou somnoler sur un fauteuil. Lorsqu’il n’a pas une allure «propre», il est rapide- ment repéré par des agents de sécurité qui lui demandent de sortir de l’institution. La direction du Service de la prévention et de la sécurité prône la tolérance auprès des personnes itinérantes, dont la présence ne fait pas l’unanimité.

«Les sans-abris qui ne dérangent pas, on les laisse entrer le temps qu’ils se réchauffent, affirme un agent de sécurité de la compagnie Garda qui travaille souvent à l’entrée métro du pavillon Judith-Jasmin. S’ils sont violents ou couchés quelque part, on leur demande de sortir.» Aux yeux du directeur du Service de la prévention et de la sécurité, Alain Gingras, c’est la meilleure attitude à adopter. «Ils font partie de l’environnement. On doit trouver un moyen de cohabiter avec eux.» En 2010, il avait d’ailleurs demandé au coordonnateur du refuge de la Maison du Père, André Leroux, de donner une formation sur l’itinérance aux agents de sécurité uqamiens. «La situation au sein de l’UQAM s’est beaucoup améliorée, mentionne le coordonnateur. L’Université travaille maintenant de pair avec divers organismes pour per- sonnes itinérantes.»

La bibliothèque universitaire est une place de choix pour récupérer quelques heures de sommeil, confie Mario Amatto. Il avoue qu’il dort très mal dans les refuges. «Les lits sont collés les uns aux autres, donc si tu te ramasses à côté de personnes qui ronflent ou qui puent, il est probable que tu ne fermes pas l’œil de la nuit.» Les passages souterrains sont eux aussi utiles pour ceux qui vivent dans la rue, mais les agents de sécurité y sont plus stricts. «Quand il pleut ou il fait froid, je préfère passer par l’UQAM pour me rendre à un refuge. Les agentst de sécurité me demandent aussitôt de quitter ou me suivent jusqu’à ce que je sorte. Pourtant, je marche rapidement et ne quête pas», se désole Marcel Mainville, un autre
sans-abri.

Mauvaise réputation
«Les personnes itinérantes ne sont pas toutes discrètes», observe la technicienne au Centre de documentation de l’École des médias, Christine Sarrazin. Elle est souvent la première personne que rencontrent ces visiteurs lorsqu’ils entrent dans l’institution, son bureau étant situé près d’une entrée qui donne sur la rue St-Denis. «Ils viennent parfois quêter ici ou nous vendre des choses. D’autres crient et chantent à tue-tête dans les couloirs.» La technicienne admet que ces personnes lui font peur lorsqu’elle travaille seule tard le soir. Elle prévient alors un gardien. Le Service de la prévention et de la sécurité reçoit, en hiver, deux ou trois appels par jour de gens qui signalent «une personne louche», mentionne Alain Gingras. Il précise que ces plaintes ne sont souvent que des fausses alertes.

Les sans-abris tapageurs entachent la réputation de tous les itinérants et poussent les institutions à les expulser. «Nous payons tous pour les actions qu’ils commettent», s’insurge Mario Amatto. Pour rassurer les uqamiens, l’Université du peuple doit éviter de mobiliser un grand nombre d’agents lors d’interventions auprès de personnes itinérantes. Cela envoie le message qu’elles sont dan- gereuses et irritantes, explique l’organisateur communautaire du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal, Bernard St-Jacques.

Ce dernier ajoute que la communauté universitaire a besoin d’être sensibilisée davantage. «Certaines personnes arrivent des banlieues et n’ont jamais vu de sans-abris, constate-t-il. L’UQAM devrait envoyer un courriel à tous pour rappeler que l’itinérance existe au centre-ville et qu’elle n’est pas toujours nui- sible.» Il précise toutefois que l’expulsion de sans-abris est parfois inévitable, puisque certains d’entre eux ont des comportements dérangeants. Reste que selon lui, le problème est plus fondamental. «Il manque de centres de jour pour les sans-abris, mais surtout de logements accessibles. S’ils avaient un logis, ils n’auraient pas besoin d’aller à l’UQAM pour se réchauffer.» Ayant passé la nuit dernière sur un banc de parc, Mario Amatto a bien hâte de s’assoupir quelque part, au chaud. Demain, barbe rasée et vêtements propres sur le dos, il se rendra à la bibliothèque uqamienne, tentant de passer incognito.

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Des milieux moins accommodants
L’UQAM devient plus tolérante envers les personnes itinérantes, mais quelques pas plus loin, à la Place Dupuis, l’arrogance des agents de sécurité est vivement dénoncée. «Je n’ai pas de respect pour eux», s’indigne le coordonnateur du refuge de la Maison du Père, André Leroux. Au métro Berri-UQAM, des policiers du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) assurent eux-mêmes le rôle d’agents de sécurité. Ils ont donc le pouvoir de donner des contraventions aux sans-abris, qui ne sont pas capables de les payer. «Le mode de fonctionnement de la STM est assez chaotique», estime l’organisateur commu- nautaire du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal, Bernard St-Jacques. Donner des amendes permet toutefois de changer des comportements, justifie l’inspecteur Alain Larivière, chef de la section métro du SPVM.

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