Des tonnes de copies

Du pastiche à la reproduction en série, le marché de l’art est submergé par la copie. Les épinglettes de Picasso, les t-shirts de Van Gogh et les bobettes de Warhol changent le rapport à l’art.

Paul Maréchal est fan d’Andy Warhol. Quelques précieux exemplaires des travaux du père du pop art sont mis en vedette dans son bureau qui déborde de peintures et d’affiches de tous genres. Le professeur spécialisé en marché de l’art et en évaluation d’œuvres à l’UQAM s’empresse de retourner une sérigraphie signée de la main de Warhol. À l’endos, une étampe en certifie l’originalité. L’authentification d’œuvres est une pratique courante, voire nécessaire dans le domaine de l’art visuel pour éviter la prolifération de faux tableaux. Bien que les contre-façons se font de plus en plus rares sur le marché de l’art, selon le professeur. Depuis quelques années, la photographie, l’impression et Internet ont contribué à une toute nouvelle forme de reproduction et de diffusion légale des œuvres. Désormais plus facile d’accès, le domaine des arts visuels se voit contraint à redéfinir la notion fondamentale d’authenticité.

«Il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas admettre que l’emprunt, la citation, le pastiche et la réappropriation sont des tendances fortes et bien installées depuis plusieurs années», soutient l’enseignante spécialisée en philosophie de l’art au Collège Montmorency, Mélissa-Corinne Thériault. Si les faux tableaux se raréfient, la reproduction d’œuvres n’est pourtant pas chose du passé. La copie, très différente du faux de par l’intention derrière sa fabrication (voir encadré), se répand dans les demeures et sur les écrans à vitesse grand V. Les techniques de reproduction modernes permettent aux tableaux de Picasso ou de Léonard de Vinci de se retrouver autant sur une affiche que sur une tasse de café.

Aux yeux de Mélissa-Corinne Thériault, cette surexposition aux œuvres célèbres est en train de faire descendre de leur piédestal les travaux des grands maîtres. «La copie en mode industriel change notre rapport à l’œuvre, explique-t-elle. On est dans une ère où copier des tableaux est relativement facile. À partir du moment où l’œuvre n’est plus sacrée, notre façon de la traiter est banalisée.» Résultat, les multiples reproductions de la Joconde ont tant modelé notre perception qu’une fois devant l’original au musée du Louvre, le spectateur reste de glace.

Selon la professeure, l’omniprésence de la copie augmente la tolérance du public à son endroit et jette de l’ombre sur le mérite accordé à l’artiste. «Je crois que notre rapport à l’authenticité est en train de changer», avance-t-elle. La chargée de cours en histoire de l’art à l’UQAM, Marie-Ève Charron, abonde dans le même sens. La citation et le pastiche ont acquis une place importante dans l’art contemporain, croit celle qui est aussi critique en art visuel au quotidien Le Devoir. «Aujourd’hui, le fait que l’œuvre soit faite de la main de l’artiste n’est plus le seul critère qui en détermine la véracité», tranche-t-elle. Depuis les ready-mades et les pastiches de Marcel Duchamp au début du 20e siècle, le monde artistique est confronté à un réel changement de paradigme. L’artiste dada a d’ailleurs été un des précurseurs du pastiche avec L.H.O.O.Q., une reproduction de la Joconde à laquelle il a ajouté une élégante moustache.

Marie-Ève Charron croit qu’aujourd’hui, la valeur d’une œuvre ne réside pas dans le savoir-faire de l’artiste, mais bien dans l’idée qui en émane. «L’œuvre peut très bien ne pas être de la main de l’artiste, mais l’idée, elle, est unique. Ce déplacement élargit les frontières de l’art.» L’artiste ne démontre donc plus de virtuosité dans le savoir-faire, mais «peut imaginer un concept et réinventer les manières de faire de l’art», ajoute-t-elle.

Le faux mis à mal

S’il y a toujours eu des faussaires de tableaux, la contrefaçon n’a jamais été un problème de taille sur le marché de l’art canadien et l’est encore moins aujourd’hui, affirme le professeur à l’UQAM Paul Maréchal, catégorique. «La dernière histoire de faux au Canada remonte à tellement longtemps que je ne saurais vous dire quand», ajoute-t-il en haussant les épaules. L’industrie de la contrefaçon a pourtant un bon potentiel lucratif, le marché de l’art étant très prolifique à l’heure actuelle. Selon Paul Maréchal, pour qu’un tableau soit la cible des contrebandiers, l’original doit se chiffrer à une valeur d’au moins 10 000$. La fausse version est souvent vendue à un prix comparable.

Bien que plusieurs faussaires se soient enrichis de par le passé, vendre un faux tableau aujourd’hui relève presque du miracle. Les nouvelles technologies de pointe permettent plus aisément d’identifier l’âge des matériaux – la peinture et la toile – que les faussaires maquillent souvent pour leur donner un aspect ancien. «C’était beaucoup plus facile de contrefaire il y a 20 ou 30 ans», estime le professeur.

Il regrette cependant que la copie soit trop fréquemment confondue avec les faux tableaux. Submergé dans une société d’images, le commun des mortels fait difficilement la distinction entre les deux formes de reproductions, plaide-t-il. Selon lui, pas le choix d’initier très tôt la jeunesse aux rudiments du langage plastique pour éviter la multiplication «d’illettrés en arts visuels». Assis à son bureau, il contemple fièrement l’œuvre de son idole. S’il a la chance d’en posséder une authentique, d’autres amateurs d’art peuvent se procurer facilement Campbell’s Soup Cans dans la mer de copies disponibles sur Internet.

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À ne pas confondre

La contrefaçon (ou le faux) : une pratique criminelle qui consiste à reproduire l’œuvre d’un artiste célèbre et la vendre en la faisant passer pour vraie. Selon le spécialiste des crimes de l’art Alain Lacoursière, les faussaires sont généralement des artistes déchus, de bons techniciens qui manquent d’esprit créatif.

La copie : une reproduction faite à la main ou une photographie d’une œuvre. Elle est vendue sans la prétention d’être la version originale. Le pastiche : consiste en la réappropriation d’une œuvre – en ensemble ou en partie – d’un artiste par un autre. Un contrat d’acquisition protège généralement les droits de l’œuvre originale

Crédit photo: roanokecollege, Flickr

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