Tenir la note

Des adeptes de musique ancienne vibrent au son du luth ou de la flute à bec. Dans ce milieu restreint et saturé, seuls les plus déterminés vivent de leur passion.

Dans une grande salle aux lumières tamisées, les spectateurs attendent les finissants à la maîtrise en musique ancienne. Marie-Laurence Primeau entre sur scène avec un instrument qui, au premier coup d’œil, a tout l’air d’un violoncelle. C’est pourtant une viole de gambe, un instrument né au 15e siècle. La musicienne de 26 ans s’assoit calmement, dirige son regard vers sa partition et soulève son archet. Le public entend alors vibrer les premières notes d’une sonate de Bach. Marie-Laurence Primeau aurait pu jouer cette mélodie avec un instrument moderne, mais la viole de gambe lui permet de reproduire le son de l’époque, de se coller presque parfaitement à la partition originale. Par passion, elle plonge donc dans un petit univers où les nouvelles recrues doivent forcer la note pour se tailler une place.

«C’est plus difficile pour les jeunes de percer dans le milieu que ce l’était dans notre temps», constate Réjean Poirier, responsable du programme de musique ancienne de l’Université de Montréal (UdeM), un brin de nostalgie dans la voix. Il fait référence aux années 70, lorsque le public de la métropole redécouvrait les instruments baroques. À l’époque, le Studio de musique ancienne de Montréal avait été fondé, le marché du disque se développait. Les temps ont changé. «De nombreux musiciens ont été formés et il y a une multitude de petits groupes baroques, mais il manque de subventions. Il n’y a donc plus beaucoup de place pour de nouveaux ensembles», déplore-t-il.

Même s’ils savent que leur parcours sera parsemé d’embûches, quelques jeunes musiciens troquent leur guitare pour un luth et entreprennent des études universitaires en musique ancienne. Ce programme est offert depuis 1960 à l’Université McGill, où il compte une vingtaine d’étudiants et plusieurs ensembles musicaux. L’UdeM, elle, propose le baccalauréat depuis 1975. Marie-Laurence Primeau a suivi le programme de l’Université francophone avec une dizaine d’autres élèves. «Je suis entrée en flûte à bec, avec la viole de gambe comme instrument complémentaire. Je suis complètement tombée en amour avec la viole. J’en jouais toute la nuit! C’est vite devenu mon instrument principal», raconte la jeune gambiste, avant son concert.

Pour vivre de baroque, les jeunes diplômés doivent être astucieux. Marie-Laurence Primeau combine plusieurs disciplines. Elle danse pour la troupe baroque Les Jardins chorégraphiques, souffle dans sa flûte à bec pour l’ensemble Flûte Alors! et multiplie les contrats de viole de gambe pour des ensembles professionnels comme Les Voix Humaines, Les Voix Baroques et L’Ensemble 1729. Réjean Poirier conseille à ses élèves d’élargir leur répertoire en jouant aussi d’un instrument moderne ou de se lancer dans le marché européen, beaucoup plus grand. «Dans le reste du Canada, il n’y a qu’un seul orchestre baroque permanent, à Toronto. Aller jouer dans d’autres provinces n’est donc pas la meilleure solution», précise-t-il. Il ajoute que la situation varie selon l’instrument que l’on joue, en donnant l’exemple des instruments à cordes qui sont très en demande en France dans les orchestres baroques.

Vent d’espoir

Selon François Viault, bassoniste baroque et moderne de 32 ans, évoluer dans un petit milieu comporte des avantages. Dès son arrivée à Montréal, en septembre dernier, le musicien français a rencontré beaucoup de professionnels du milieu baroque. «Lorsqu’on joue d’un instrument moderne, c’est plus difficile de se bâtir un réseau de contacts, car il y a beaucoup de monde. Dans l’univers du baroque, tout le monde se connaît. On obtient des contrats par bouche à oreille.» C’est cependant une arme à double tranchant. «Si tu couches avec la mauvaise personne, il se peut que tu ne sois pas rappelé!» ricane le musicien.

Plusieurs finissants des programmes de musique ancienne se démarquent sur le marché du travail de la métropole. «Certains de nos étudiants récemment gradués font partie de projets très intéressants: Pallade Musica, un groupe formé d’anciens étudiants de McGill, est finaliste pour la compétition de musique ancienne de la ville de New York, qui a lieu cet automne», souligne Hank Knox, directeur du programme de musique ancienne de l’Université McGill et membre fondateur de l’orchestre baroque Arion. Il ajoute que d’autres diplômés jouent pour des ensembles montréalais reconnus comme Caprice et Masques.

Marie-Laurence Primeau fait résonner les dernières notes d’un concerto de Telemann, remercie les musiciens sur scène, puis offre une révérence au public. La jeune gambiste, maîtrise en poche, rejoint famille et amis pour célébrer son entrée officielle dans le monde de la musique baroque.

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Des instruments précieux

La grande majorité des musiciens baroques ont des repro- ductions d’instruments d’époque, conçues par des luthiers. La différence avec un instrument original se situe dans l’âge du bois et surtout dans le prix. «Un basson d’origine coûte environ 8 000 $, tandis qu’une copie coûte 3 000 $», souligne François Viault, bassoniste.
Certains musiciens aisés achètent des instruments anciens, puis les modernisent, déplore François Viault. «Un Stradivarius, le violon le plus cher au monde, sonnerait beaucoup mieux s’il est monté comme à l’époque.»

Crédit photo: Josni Bélanger

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