Sage comme une image

Après une trentaine d’années à user son objectif sur les contours et les travers des sociétés actuelles, le photographe américain Ed Kashi en est venu à une conclusion bien sensée : malgré la progression fulgurante des modes de communication, la photographie demeure un ingrédient essentiel à une saine démocratie. Invité au World Press Photo de Montréal la semaine dernière, il s’exprimait en ces mots : «Des gens voudront toujours raconter des histoires, même si les journalistes sont de plus en plus visés par des meurtres, des attaques et des prises d’otages, et pas seulement dans les zones de conflits.»

Sages paroles, qui résonnent cependant dans mes oreilles comme une musique grinçante. Comme à la sortie d’un show, quand la rue ne devient qu’un long silement assourdissant. Car si les photographes – et les journalistes, il faut le dire – sont les fameux chiens de garde de la démocratie, ils sont aussi trop souvent les victimes de ses dérives. La liberté d’expression, nous le dirons jamais assez, devrait être la pierre d’assise de toute société qui se respecte. Les photojournalistes ne devraient pas avoir à calculer les dangers avant de faire leur travail, peser le pour et le contre avant de déclencher l’obturateur.

Cela étant dit, malgré les menaces qui planent sur les artistes de l’information et de l’image, les histoires qu’ils racontent témoignent souvent avec rigueur des passions et des déraisons, des vérités et des doutes. Les clichés des photographes, tout comme les mots des journalistes, gavent la sphère publique d’information permettant à ceux qui s’y intéressent de se forger une opinion, de participer activement à la vie démocratique. Et à mes yeux, là où les mots ne cernent plus les nuances, les images s’imposent avec justesse.

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Un mot sur le World Press Photo, pour les malheureux qui ne le sauraient pas encore : plusieurs photos ont été prises pendant le printemps arabe, mais l’exposition comprend également une section interactive consacrée au printemps érable (Rouge2). À partir du vendredi 14 septembre, citoyens et professionnels sont d’ailleurs invités à partager leurs photos sur le site carrerouge.ca.
Dans la salle d’exposition, de nombreux clichés marquent la hargne de certains policiers envers les manifestants ou vice versa. Pourtant, beaucoup d’images témoignent de la créativité rafraîchissante des carrés rouges. Je ne ressasserai pas de vieilles anecdotes d’étudiants à l’imagination débordante qui ont donné une teinte plus légère au rouge vif des revendications. Par contre, en ce lendemain officiel de grève, je constate une chose : la créativité des étudiants continuera d’agir comme un baume sur les cicatrices de cette interminable grève. Tout comme le travail des photojournalistes continuera de nourrir la démocratie.

Audrey Desrochers
Chef de pupitre Culture
culture.campus@uqam.ca

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