Mémoire affective

Après 30 ans d’absence, l’artiste multidisciplinaire revient sur scène pour faire le récit de sa vie, le temps d’un tour de chant.

«Aujourd’hui, je suis un vieux monsieur qui raconte des histoires», confie Lewis Furey, non sans laisser poindre un léger sourire. Sous son bonnet azuré, son crâne lisse détonne avec son visage empreint de rides, traces indélébiles d’une étonnante carrière. Assis au Café Névé, rue Rachel, il déguste avec appétit son «sublime» biscuit aux pépites de chocolat. «C’est pour ça que j’aime venir ici», lance-t-il en observant discrètement les autres clients. Si son regard gris est frêle, une passion certaine s’y élève lorsqu’il parle de son nouveau spectacle, Selected songs recital. Un concert à l’ambiance intemporelle, hors norme, où le musicien revisite sa pop d’inspiration classique au rythme de son piano. Pour lui, la scène est un mode d’expression libre et hétérogène et sert d’anamnèse à sa musique.

À chaque représentation, il ouvre à son public le recueil de ses souvenirs, confessions musicales d’une autre époque. «C’est une espèce de journal intime. J’ouvre des volets de ma vie presque au hasard, avance-t-il dans un franglais naïf. Mes spectacles sont des conférences musicales, des contes!» L’artiste montréalais, désormais établi à Morin-Heights dans les Laurentides, construit chaque soir un tour de chant distinct du précédent, au gré de ses réminiscences.

Le musicien et chanteur Pierre-Philippe Côté – Pilou, pour les intimes –, qui collabore fréquemment à son nouveau récital, considère d’ailleurs cette spontanéité comme le point cardinal de sa démarche artistique. «C’est pourquoi c’est vraiment intéressant de jouer avec lui, s’enthousiasme le jeune homme de 26 ans, une certaine fougue enfantine au creux de la voix. C’est aussi particulier parce que chaque soir est différent, il faut toujours tout réinventer.» Lewis Furey a construit Selected song recital comme une auto-analyse, une forme de psychanalyse de sa carrière musicale. «J’essaye en fait de parler de moi à travers des images que j’ai du monde et dans lesquelles, évidemment, je suis l’élément central», élabore-t-il, soudainement contemplatif.

Retour en arrière

Lewis Furey avait à peine 25 ans lorsqu’il a lancé son premier album éponyme en 1974. Il a ensuite produit deux autres efforts dans la même décennie, The humours of Lewis Furey et The sky is falling, avant de passer à un autre chapitre de sa vie. Il a ainsi abandonné le monde du spectacle au début des années 1980, et le désir de fouler les planches à nouveau lui est revenu lentement. «L’écriture est redevenue le cœur de mon quotidien et j’ai eu envie, dernièrement, d’aller à la rencontre du public», indique-t-il. Ce sont les Français qui ont d’abord pu profiter de son retour, alors qu’il s’est rendu à Paris à l’hiver dernier pour une série de spectacles.

Durant son absence sur scène, il a cependant noirci les pages de son carnet. Il a joué dans deux films – expérience qu’il a particulièrement détestée – et il a mis en scène des comédies musicales. Entre maintes chansons écrites pour sa femme Carole Laure et la réalisation de trois longs métrages, il a aussi fait 25 vidéoclips de danse et de la musique de film.

C’est ce bagage de vie, campé dans sa musique, qu’il remet en perspective dans son plus récent concert. «J’essaie de faire l’apologie de mes expériences, de les mettre dans une perspective différente qui me permet de les jouer à nouveau», soutient-il. Selon lui, il ne s’agit pas de dépoussiérer les meilleures pièces de son répertoire, mais de prendre le recul nécessaire pour les réinviter. «J’aspire à devenir complètement confortable dans ma relation avec mes chansons passées, avoue l’artiste. J’aimerais les rendre fluides et facilement communicables.»

Sphère d’influence

Tout en terminant les dernières pépites de son biscuit, Lewis Furey relate sa vie en anecdotes, morceaux épars d’un récit prosaïque. Les rencontres ont été nombreuses et les personnages, marquants. Très jeune, il passait ses étés à Saint-Donat, où il a connu sa première professeure de violon, une des femmes les plus inspirantes de sa carrière. Le musicien a aussi travaillé avec Leonard Cohen, Gilles Carles, Luc Plamondon et Calvin Sieb, violoniste à l’Orchestre symphonique de Montréal. Il trimbale ainsi sans gêne leurs influences jusque sur scène. Il estime qu’il doit rendre à ses chansons leur contexte particulier, leurs références, leurs histoires. Et ces histoires, il les bâtit par la musique, certes, mais aussi par le jeu, le théâtre, la poésie et la danse – par toutes ces facettes artistiques qui ont influé sur sa carrière.
À ses yeux, les gens qui l’accompagnent sur scène influencent aussi ce qu’il a envie de raconter.

«Travailler avec des jeunes très actifs comme Pilou, je trouve que c’est vraiment stimulant.» En terminant son biscuit, Lewis Furey se tourne vers la grande fenêtre à l’entrée du café et fixe la rue. «Ce qui me passionne vraiment, en dehors de la musique, ce sont les arbres, songe-t-il, passant du coq à l’âne. J’aime les forêts et la neige sur les arbres en hiver. Sur mon terrain à Paris, il y a des arbres près de la maison. Je suis un peu fanatique.» Sur ces mots, comme s’il venait de terminer un récit, son récit, il remet son bonnet, se lève d’un bond et quitte le Café Névé sans salutations aucune.

Courtoisie: Carole Laure

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *