Dossier « Vivre écolo »

Vertes, mais pas mûres

Tout n’est pas rose pour les habitations vertes de la métropole. Si elles réduisent l’empreinte écologique, plusieurs impedimenta se dessinent pour leurs constructeurs et propriétaires.

Audrey Desrochers

À première vue, le 3470, boulevard LaSalle à Verdun se fond dans le paysage urbain. Rien ne laisse deviner que le triplex est tout à fait original, si ce n’est l’immense panneau solaire chapeautant le toit-terrasse de l’immeuble. À l’intérieur, le confort de cette construction éconergétique surprend. Les quatre pièces, inondées de lumière naturelle, sont parfaitement tempérées. Même près des fenêtres, le bruissement de la ville est quasi-inaudible. Malgré son confort inégalé, les différentes technologies de ce temple écologique ne lui ont toujours pas permis d’atteindre son objectif premier: produire autant d’énergie qu’il en consomme. Alors que de tels projets de construction écologique fleurissent dans la métropole, les embûches financières sont multiples.

Du triplex Le Soleil à Verdun au projet Le Bassin du Havre dans Grinffintown, en passant par le Phœnix dans l’arrondissement Saint-Laurent, les projets dits «verts» varient du vert pâle au vert foncé. «Le problème avec les habitations écologiques, c’est qu’il faut chaque fois recréer une nouvelle recette de construction, explique l’architecte et constructeur-promoteur du triplex Le Soleil de Verdun, Christopher Sweetnam-Holmes. Il faut repenser à chaque élément de la maison pour être certain que tout soit écologique.» À ses yeux, il est alors ardu pour les constructeurs de planifier les coûts et il y a toujours certains systèmes qui fonctionnent moins bien que prévu.

Selon le coordonnateur à la Société d’habitation et de développement de Montréal (SHDM) Patrick Pretty, tout est une question de gestion. «Nous n’avons eu aucun problème avec le Phœnix, parce que nous n’avons pas utilisé de trucs exotiques, mentionne celui qui est aussi responsable de ce projet dans Saint-Laurent. Il faut juste assembler de manière élégante des appareils déjà sur le marché.» En général, les constructeurs réussissent tout de même à créer un environnement avec des économies de 30% à 70% d’énergie.

Mettre à profit
Le conseiller technique à la Société canadienne d’hypothèques et de logement Bernard Gaudichon reste sceptique à l’égard de la rentabilité de ces constructions éconergétiques. «On gagne en confort, mais on n’est pas encore rendu à une solution lucrative. Quand plus de gens installeront [ces technologies écologiques], on aura peut-être des coûts plus raisonnables», indiquait-il au quotidien La Presse.

Le problème réside dans l’entente de mesurage net avec Hydro-Québec, croit le coordonnateur de LEED Canada pour les habitations – un programme de certification écologique – Jean-François Méthé. Actuellement, toute électricité excédentaire produite dans un bâtiment comme Le Soleil à Verdun est exportée vers le réseau public. En hiver, alors que les besoins énergétiques sont plus grands, ce surplus est crédité sur la facture des occupants. «En Ontario ou en Allemagne, les compagnies rachètent l’électricité pour un montant assez élevé, compare le coordonnateur LEED. Ici, Hydro-Québec va tout au plus annuler la facture. Si on payait plus cher cet excédent, alors là ça deviendrait intéressant pour les résidents.»

Souvent associées à un design architectural moderne et luxueux, ces habitations sont dispendieuses. Première construction de copropriété à consommation énergétique nette ciblée à zéro au Québec, le triplex de Verdun a coûté 1,2 M $. Jean-François Méthé précise que ces habitations sont plus durables et ont une bonne valeur de revente. «Aux États-Unis, ça vaut entre 8% et 22% de plus qu’une maison conventionnelle, note-t-il. Le marché québécois n’est pas aussi fort, mais il va le devenir.»

À prix d’argent
Christopher Sweetnam-Holmes habite un des appartements de l’immeuble avec sa femme et son fils de 19 mois. Il considère que plusieurs acheteurs sont prêts à délier les cordons de leur bourse pour habiter ces condominiums verts, leur motivation principale étant le confort et non les considérations économiques.

L’accès à la propriété écologique n’est pourtant pas qu’une affaire de nababs. Dans l’arrondissement Saint-Laurent, des condominiums verts de 800 pieds carrés sont disponibles pour quelque 150 000 $. Le Phœnix fait partie du programme Accès Condos de la SHDM, qui offre des crédits d’achat et des subventions spéciales aux propriétaires.

Pour permettre une plus grande accessibilité aux appartements écoresponsables urbains, il faudrait aussi des plans de financement à long terme adaptés aux besoins de cette clientèle particulière, avance Christopher Sweetnam-Holmes. «On n’a pas besoin de payer plus cher pour les technologies vertes au moment de l’achat de la propriété, propose-t-il, enthousiaste. On peut créer des coopératives pour gérer le financement. Il faut penser à un système commun, il faut un esprit communautaire!»

La passion dans la voix, Christopher Sweetnam-Holmes clame qu’il faut des constructions qui mettent l’humain au centre des préoccupations. «Chez nous, l’air sent bon, la température est tellement parfaite, c’est le confort tellement parfait!» s’emporte-t-il. L’air rieur, il raconte que le confort est si grand dans une maison écologique qu’il est toujours stupéfait lorsqu’il entre dans un logement conventionnel.

Au diable vert
De telles constructions écoénergétiques existent aussi en milieu rural. Par exemple, l’entrepreneur québécois Bernard Morin, avec son projet EM2 Espace Mobile, transforme des conteneurs maritimes en chalets écologiques. Pour le constructeur-promoteur Christopher Sweetnam-Holmes, ces habitations vertes engendrent néanmoins une importante empreinte écologique. «On a beau faire un village super écolo, l’empreinte sera presque la même que dans un quartier normal de Montréal, assure-t-il. On consomme vraiment plus dans un environnement rural à cause des déplacements et des besoins en marchandises.»

Crédit Photos: Raphaëlle Bonin

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École logique

Socle d’une communauté et véritable projet synergique collectif, l’éducation dans les écovillages se donne comme mantra le respect sous toutes ses formes. Montréal Campus s’est assis sur un banc d’école le temps d’une journée.

Étienne Dupuis

Après-midi glacial du mois de mars dans le hameau reclus d’Ham Nord. Sous le ciel nébuleux, dans la grange reconvertie en fabrique, un groupe d’habitants s’affaire à coudre des vêtements. Le bâtiment adjacent, qui sert de salle communautaire, fourmille de familles. Au rez-de-chaussée, plusieurs adultes terminent leur journée de travail dans l’atelier d’artisanat de verre du village pendant que d’autres, dans les cuisines, préparent le souper qui sera bientôt servi. À l’étage, alors que les administrateurs de la compagnie brassent des affaires, une poignée d’enfants semble captivée et absorbe chaque mot de l’enseignante. Une journée typique à la Cité Écologique de Ham Nord, près de Victoriaville, où l’éducation est au centre de l’action.

«Ça prend tout un village pour élever un enfant», lance d’emblée Laurie Duval une des deux enseignantes à la Cité Écologique en référence à un proverbe sénégalais. La jeune femme dans la vingtaine, qui a grandi à Ham Nord, explique que l’éducation dans cet écovillage des Bois-Francs est conforme aux normes de la commission scolaire. Selon la professeure, l’école est au cœur même de la mentalité du village. «Au départ, les gens ne sont pas venus ici pour le mouvement écologique, poursuit-elle. Les pionniers étaient des professionnels de l’éducation et voulaient offrir une éducation différente à leurs enfants.» Nébesna Fortin a fait sa scolarité dans cette cité d’Ham Nord. Aujourd’hui, elle est coordonnatrice des stages. Cette dernière a donc été témoin de la mutation de l’endroit, qui s’est bâti autour de l’école. Entraide et camaraderie sont les primats dans la communauté d’une centaine d’habitants. «Au départ, ce n’était qu’un camp de vacances pour les enfants dans une vieille grange, partage la coordonnatrice nostalgique. Les parents ont tellement aimé l’expérience qu’ils ont décidé de transformer ça en école.»

Dans la salle commune au deuxième étage, le père d’un des enfants, en kimono, donne des leçons de karaté à quelques bambins. «Les parents sont très impliqués dans l’éducation ici, s’enthousiasme Laurie Duval. Ils sont présents lors de décisions qui concernent l’éducation.» Celle qui complète présentement un baccalauréat en éducation à l’Université du Québec à Rimouski note que cette approche permet de créer une cohérence entre la maison et l’école.

Outre la Cité Écologique d’Ham Nord, bien peu d’écovillages au Québec offrent un service d’éducation. À celui de La Baie, situé dans le fjord du Saguenay – comme dans la plupart initiatives écologiques du genre –, trop peu d’enfants sont présents pour constituer une école. Marie-Thérèse Thévard, résidente de ce village qui abrite trois familles, a décidé d’offrir l’école à la maison. «C’était un choix de famille, s’enorgueillit-elle. C’est une manière d’éduquer plus concrète.»

Recette singulière
Dans la manufacture de verre à Ham Nord, Uriel, qui a fait son primaire et secondaire à l’école de la Cité Écologique, est aujourd’hui responsable de l’expédition. «On favorise beaucoup l’apprentissage en entreprises», allègue Nébesna Fortin, membre de la communauté. Laurie Duval, qui deviendra sous peu la responsable pédagogique du village, encourage les élèves vers la fin du secondaire à faire des stages dans une des deux entreprises du village. «Un jeune qui montre l’intérêt peut prendre l’expérience tôt et développer ce qui l’intéresse au sein de nos entreprises.» L’écovillage peut ainsi s’assurer la rétention d’une bonne partie de sa population. L’apprentissage par projet est d’ailleurs au centre de l’éducation dans l’écovillage. «Lorsqu’on apprenait les fractions, on allait faire une recette à la cuisine pour mettre ça en pratique», se remémore Nébesna Fortin.

Les élèves sont également appelés à faire du jardinage. Chacun d’entre eux a son petit lopin de terre. L’été, les parents reprennent le flambeau de l’école. «Certains parents prennent en note le poids des légumes, par exemple, et bâtissent un petit carnet d’informations, opine sourire aux lèvres Laurie Duval, enseignante à l’école. Ça nous fait du bon matériel pour enseigner.»

Le respect avant tout

En sillonnant les couloirs de la salle communautaire, Nébesna Fortin est assaillie de sourires et de bonjour: à la Cité Écologique de Ham Nord, tout le monde se connaît. «Le respect sous toutes ses formes, affirme Laurie Duval d’un ton franc. De l’environnement, des autres et de soi-même. On veut que les jeunes deviennent des citoyens engagés.» Elle donne comme appui le cours d’éthique et culture religieuse, qui est au programme scolaire depuis bien longtemps. Il a été imposé à Ham Nord avant même que le gouvernement oblige son instauration. «On voulait que les enfants comprennent qu’il n’y a pas que notre façon de vivre à nous, détaille-t-elle. On prône l’ouverture pour ce qu’il y a autour de nous.»

S’il se garde bien de juger les initiatives scolaires des écovillages de la province, le spécialiste en mouvements sociaux contemporains Marco Silvestro met en garde contre les dangers d’une éducation hermétique. «On peut penser qu’un enfant qui va à l’école dans un milieu en marge de la société peut avoir un décalage entre ce qu’il a appris et ce qu’est la société.» À Ham Nord on incite les élèves à parcourir le globe. Pour Nébesna Fortin, les nombreux voyages offerts pendant le parcours scolaire favorisent l’ouverture d’esprit. «J’ai fait beaucoup de voyage pendant mon parcours scolaire, évoque-t-elle. Les voyages, ça forme la jeunesse.»

C’est la pénombre. Les travailleurs de la fabrique de vêtements et d’artisanat quittent leur poste. Tous convergent vers un seul et même endroit, la salle communautaire où le souper les attend.

Crédit Photos: Courtoisie Nébesna Fortin

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