Perversions gracieuses

[…] dans cette rue de banlieue parmi les dévorés vivants. […] Ma vie est un album photo jauni, caché dans le creux des tiroirs, et cet album est maudit, et je vous le montre. Photo après photo m’accompagnent à chaque pas que je fais, à chaque corps flou que je croise. Elles resteront fixées en moi pour toujours. Fort d’une poésie macabre, morcelée en chapitres aussi courts que les phrases qui les composent, la révision du roman Chant pour enfants morts du québécois Patrick Brisebois (Trépannés) pique la curiosité.

Véritable récit halluciné, il appartient indubitablement à une classe à part du reste des propositions québécoises. Bienvenue au pays du laid, au pays de l’étrange et du calvaire. Avant d’y entrer, tâchez de vérifier votre bonne humeur, histoire de pouvoir en sortir. Je dis laid, mais je pourrais aussi dire beau. Difficile de choisir entre le dégoût et la grâce du sacrifié.

Si dans son ensemble Chant pour enfants morts déploie une grande poésie, une inventivité et une écriture efficace, il reste pourtant décousu. L’intérêt maladif des premières pages se perd au fil du roman dans un brouhaha presque cacophonique. Chaque parcelle est magnifique, mais on perd rapidement le fil de la trame narrative chaotique à l’extrême. Sans prendre son lecteur par la main, Patrick Brisebois aurait avantage à colmater quelque peu son récit tout en conservant ce flou artistique qui fait sa marque.Le sacrifié a un nom, lui aussi, comme ceux qui vivent en l’ignorant. Il s’appelle Isidore Malenfant et porte parfaitement son nom. Isidore est un écrivain de science-fiction raté. Il n’arrive pas à pondre quelque chose de bien, alors il s’enfonce. Il est désespéré, cynique et pense assez souvent à se faire la peau avant de détruire encore un peu plus ce qui l’entoure. Son histoire éthylique est entrecoupée de souvenirs d’une enfance horrible. Ces retours en arrière très fréquents sont pour la plupart complètement malsains et troublants. Dans la tête d’un petit garçon à l’imagination apocalyptique bien développée, on observe une vie familiale pourrissant de l’intérieur. Il y a la mère à moitié folle, déséquilibrée au point de correspondre avec une fillette décédée dans un accident d’autobus. Il y a un père malheureux, des amis qui se transforment en créatures d’outre-tombe. Tout est perverti, impulsif, sexuel et on y mêle une bonne dose de surnaturel.

Chant pour enfants morts, Patrick Brisebois, Le Quartannier, 2011, 173 p.

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