De la BD au cubisme

Lumière et spiritualité, tel un rayon qui passe à travers un prisme pour former les couleurs de l’arc-en-ciel, se dégagent de l’exposition Lyonel Feininger: de Manhattan au Bauhaus présentée au Musée des Beaux-Arts de Montréal à partir du 21 janvier. La directrice et conservatrice en chef du musée, Nathalie Bondil, a réussi le pari de faire découvrir cet artiste polyvalent, peu connu ici, dans la cadre de cette première rétrospective en Amérique du Nord de l’œuvre de Feininger depuis son décès en 1956.

Né à New York en 1871 et ayant vécu la majeure partie de son temps en Allemagne, pays d’origine de ses parents, Feininger a connu une carrière multidisplinaire à laquelle Nathalie Bondil a voulu «rendre hommage» par une exposition «riche et poétique». Cheminant d’une salle à l’autre de l’exposition, le visiteur apprend à connaître le parcours de l’artiste qui a touché à l’illustration, à la bande dessinée, à la peinture, à la gravure et à la photographie, en plus d’être musicien et compositeur à ses heures. Il a également été maître au Bauhaus, l’institut des arts d’avant-garde fondé en 1919 à Weimar, en Allemagne.

 

L’exposition débute avec le regroupement de nombreuses illustrations, croquis et dessins de ses débuts à Paris en 1892. De ce moment de la carrière de Lyonel Feininger, on retient des œuvres lisses et soignées et d’autres plus caricaturales. Le visiteur aura également le plaisir d’admirer plusieurs planches de bande dessinée réalisées pour The Chicago Sunday Tribune, l’amusante série intitulée The Willie Winkie’s Wold, «une sorte de poème symphonique organique» publiée chaque semaine dans les années 1906-1907.

 

La salle suivante est une des plus remarquables, sinon la plus spectaculaire. On y retrouve les premières peintures de Feininger, après son saut de l’illustration à la peinture. Les couleurs tranchées et saturées et le caractère franchement imaginatif de ces œuvres mettent du soleil dans l’hiver, comme l’a si bien dit Nathalie Bondil. Dans un style expressionniste, puis tendant vers le cubisme après avoir découvert ce courant en 1911 au Salon des Indépendants de Paris, Lyonel Feininger a représenté un univers festif où de multiples personnages disproportionnés (ouvriers, bohémiens, gens de différentes classes sociales, etc.) se côtoient. Les textes qui accompagnent les œuvres permettent d’apprivoiser la démarche artistique de Feininger.

Une autre salle présente, entre autres, la période cubiste de l’artiste, au courant de laquelle son vocabulaire formel et sa palette de couleurs se sont transformés. Le public découvrira également dans cette salle une douzaine de clichés photographiques n’ayant jamais été rendus publics. Quelques-unes des photographies, où Feininger a particulièrement bien joué avec les reflets et la lumière, sont magnifiques. S’y trouvent aussi des œuvres de bois gravé, réalisées dans une approche plus géométrique, ainsi que quelques estampes et gravures qui font partie d’un projet de portfolio dirigé par l’artiste au Bauhaus.

L’avant-dernière salle réunit les deux passions de Feininger: l’art visuel et la musique. «La musique est le langage de mon moi le plus profond», disait l’artiste. Et c’est ce que le public peut admirer en observant des œuvres picturales créées en s’inspirant de la structure de la fugue en musique et en écoutant des pièces composées par Feininger et par Bach, «son maître». Sa fuite des nazis qui voulaient faire disparaître l’art moderne d’Allemagne et son retour à Manhattan sont aussi partie intégrante de cette salle.

L’exposition s’achève avec un regroupement de photos d’Andreas Feininger, le fils de Lyonel, dont le musée vient d’acheter une grande collection de ses œuvres.

Ce qui ressort finalement de cette rétrospective, magnifiquement organisée, c’est un peu du «sens du divin d’un des plus grands artistes du XXe siècle», comme l’a affirmé Barbara Haskell, commissaire de l’exposition mise sur pied en collaboration avec le Whitney Museum of American Art de New York. Un sens divin tout en couleur, en lumière et en musique.

Lyonel Feininger: de Manhattan au Bauhaus, au Musée des Beaux-Arts de Montréal du 21 janvier au 13 mai 2012 au pavillon Michal et Renata Hornstein.

Photo: Éliane Brisebois

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