Joindre l’utile à l’agréable

Certains y voient presque de l’abus, d’autres plus-value. Les professeurs qui obligent les étudiants à parcourir leur propre bibliographie pour suivre leurs cours ne font pas l’unanimité.

En lisant son syllabus, un étudiant constate que deux des trois titres obligatoires sont des ouvrages signés par le professeur qui donne le cours. La situation n’est pas rare à l’UQAM. Si les «auteurs-enseignants» se défendent de vouloir mousser leurs ventes aux dépens de leur classe, il n’existe aucune réglementation à l’Université pour prévenir les dérapages.

«Les professeurs touchent habituellement entre 1 $ et 3 $ par livre, donc il ne s’agit pas forcément d’un moyen de s’enrichir», estime Stéphane Roussel, professeur au département de science politique qui suggère ses livres au plan de cours. Il reconnaît cependant que les redevances – qui varient en fonction de la maison d’édition – sont plus élevées dans certains domaines d’études. «C’est peut-être aussi une question d’ego. Certains sont fiers de dire que les ventes de leurs livres vont bien», affirme le professeur. Les situations d’abus ne seraient toutefois pas généralisées au sein du corps professoral.

«C’est certain que la vente de leurs œuvres leur rapporte des revenus supplémentaires, mais on présume qu’ils sont de bonne foi», affirme Benoît Lépine, coordonnateur aux affaires académiques de l’Association facultaire étudiante de science politique et droit (AFESPED). Selon lui, le problème est que certains enseignants exigent l’achat de matériel très couteux et ne s’en servent finalement pas. Une tendance également notée par Stéphane Roussel. «La pertinence des œuvres au plan de cours demeure une question de jugement personnel. Pourquoi prendre du temps de classe à expliquer ce qui peut très bien être lu à l’extérieur? Les étudiants peuvent ainsi compléter les discours avec les écrits».

Certains enseignants sont les seuls spécialistes dans leurs domaines et n’ont donc pas le choix de prescrire leurs œuvres pour combler les besoins du cours, explique Stéphane Roussel. «Comme il est important de privilégier le matériel en français, il arrive fréquemment qu’ils soient les seuls dans toute la Francophonie à avoir écrit sur un sujet donné», explique-t-il. La plupart des «auteurs-enseignants» ne font que suggérer leurs ouvrages et l’étudiant peut se les procurer à sa discrétion. «Elles visent à faire bénéficier les étudiants de notre connaissance», indique le journaliste et professeur de l’École des médias, Antoine Char, en expliquant qu’il a déjà rédigé des livres destinés exclusivement aux étudiants dans le cadre de cours bien précis, sans en obliger l’achat. Ainsi, les objectifs ciblés sont regroupés dans un seul manuel pour que l’étudiant puisse éviter le recours à plusieurs œuvres. Quelques professeurs sont tout de même embarrassés par la vente de leurs livres. Stéphane Roussel se souvient par exemple d’un professeur qui remettait 1 $ à ses étudiants pour compenser le profit qu’il tirait.

Manque de transparence?
Parmi la demi-douzaine de livres écrits par Antoine Char, seul l’achat de l’un d’eux est obligatoire: Deadline America, un essai sur la presse américaine, un sujet qui, selon lui, est méconnu au Québec. L’auteur l’a glissé dans son plan de cours parce que quelques centaines de ses copies allaient être détruites. Pourquoi se débarrasser d’un ouvrage qui bénéficierait à ses étudiants?

Pour l’instant, aucune directive ni institutionnelle, ni facultaire, ni départementale limitant la promotion des livres écrits par les professeurs n’a été instaurée à l’UQAM. «Les choix en matière de pédagogie appartiennent à l’enseignant du cours qui doit établir cette pédagogie dans le respect du descriptif du cours et des objectifs qu’il vise», indique la porte-parole de l’UQAM, Jennifer Desrochers. L’ombudsman de l’Université, Muriel Binette, soutient ne pas avoir enregistré de plaintes à cet effet. Benoît Lépine de l’AFESPED non plus. Selon eux, le problème est aujourd’hui moins important puisque de nombreux achats de livres sont évités depuis l’instauration du portail Moodle, où les professeurs peuvent déposer les lectures obligatoires.

Pour Stéphane Roussel, il demeure important de vérifier si d’autres documents pourraient convenir autant ou plus à son cours avant de suggérer ses ouvrages. Il appelle d’ailleurs le corps professoral à la vigilance. «En sciences politiques, par exemple, lorsqu’on lit les œuvres du même auteur, on n’a pas vraiment accès à plusieurs écoles de pensée, soulève-t-il. Il est important d’aborder différentes visions.» Un mal pour un bien: les étudiants ont la chance de faire dédicacer leur livre, puisque l’auteur se trouve devant eux toutes les semaines à 9h30.

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Sans mode d’emploi
Avant le début de chaque session, la Coop transmet aux enseignants un formulaire à remplir dans lequel ils n’ont qu’à identifier les livres requis pour leur cours et la coopérative se les procure. Aucune statistique n’est compilée pour déterminer quels professeurs font acheter uniquement leurs propres ouvrages. Aucun moyen, donc, de prévenir ou d’identifier les abus. «Dans l’ensemble, ce ne sont pas des ouvrages écrits par des professeurs de l’UQAM qui sont le plus commandés», juge toutefois la directrice générale de la Coop uqamienne, Andrée Moro.

Crédit photo: Jean-François Hamelin
Illustration: Dominique Morin

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