De la camisole à la cour

Dix ans après l’indemnisation reçue pour leur internement injustifié, les orphelins de Duplessis reprennent la lutte.

Sur le dossier médical de Lucien Landry, on peut lire «Enfant illégitime, sans foyer, placement impossible, arriération mentale, Q.I. 75». «Ai-je l’air de ça?» lance-t-il à la blague. Gesticulant devant un café, il raconte ses années de «débile». Lucien Landry a été interné à Mont-Providence jusqu’en 1960, puis envoyé à Saint-Jean-de-Dieu, maintenant connu comme l’hôpital psychiatrique Louis-H.-Lafontaine. En 1962, l’adolescent de 19 ans invente une emplette et prend la fuite. Le jeune en cavale siège ensuite à l’aile jeunesse de la Chambre de commerce de Montréal, puis devient fonctionnaire au ministère de la Santé. Aujourd’hui à la retraite, l’ancien interné compte se rendre jusqu’en Cour Suprême pour défendre les orphelins qui n’ont pas eu sa chance.

Dans les années 1950, les communautés religieuses changent la vocation de leurs établissements pour recevoir des fonds supplémentaires de la part du gouvernement fédéral. Sous l’œil sévère de Maurice Duplessis, alors premier ministre provincial, les médecins se voient forcés de déclarer les enfants des orphelinats «débiles mentaux» ou «non éducables», les reléguant aux travaux forcés, s’ils n’arborent pas la camisole de force. En 1962, le rapport de la commission Bédard dresse un malheureux constat de la situation qui mène à la désinstitutionalisation des établissements concernés. Des milliers de jeunes sont mis à la rue. Les orphelins sous le règne de Duplessis présentent des carences en éducation, manquent d’argent et de savoir-faire; ils vivent souvent de chèques mensuels de l’assistance sociale.

Une somme moyenne de 25 000 $ a été attribuée en 2001 à un «premier groupe», les orphelins de Duplessis qui ont été institutionnalisés, par le gouvernement péquiste de Bernard Landry. Pour toucher cette somme, ils devaient signer une quittance. Analphabètes ou peu éduqués pour la plupart, tous les orphelins, à l’exception d’un, ont apposé leurs initiales à une clause interdisant toute poursuite contre les gouvernements fédéral et provincial, les communautés religieuses et les médecins impliqués.
«Ma femme voulait l’argent, mais pas moi, lance Lionel Lambert, le seul orphelin ayant refusé l’indemnisation de 2001. J’aime pas ça, le monde croche. Je ne leur fais pas confiance.» Les autres, las de se battre devant la Justice, n’ont pas revendiqué davantage d’argent, trop heureux d’en être venus à un accord. «On était tannés, écœurés d’attendre. Beaucoup n’ont pas compris l’importance de leur geste en signant la demande d’indemnisation», regrette Lucien Landry.

Le Comité des orphelins et orphelines institutionnalisés de Duplessis (COOID) a été créé en 1992 pour intenter un recours collectif contre le gouvernement. Le premier ministre péquiste Lucien Bouchard refuse de plonger dans le bain, au risque de s’y noyer. Mais son successeur, Bernard Landry, ose se tremper les pieds dans le tourbillon médiatique, après le plaidoyer de l’ancien psychiatre et ex-ministre péquiste Denis Lazure. «C’était une infamie, une opération indéfendable du gouvernement et des médecins de l’époque, commente Bernard Landry. J’ai donc décidé de clore le dossier.»

En 2001, la maigre somme a fait rager Lucien Landry, qui estime que «l’autre groupe», les orphelins victimes d’abus physiques ou sexuels dans le cadre de leur internat, n’a pas été considéré dans l’indemnisation. À cet effet, le gouvernement du Québec a annoncé, en décembre 2006, qu’il octroyait 15 000 $ aux quelque 1700 orphelins de Duplessis encore vivants. Le ministère actuel de l’Emploi et de la Solidarité sociale assure que le programme d’indemnisation des victimes d’abus est toujours en cours.

Aujourd’hui, la honte éclipse la maigre somme reçue. Le Comité des orphelins victimes d’abus (COVA), nouvel acteur en jeu, se prépare à contester la quittance imposée aux anciens internés. «Le programme de réconciliation du gouvernement n’en est pas un, martèle Lucien Landry, secrétaire du COVA. Notre indemnisation est considérée comme un programme de lutte à la pauvreté. On a été traités comme des BS qui attendent leur chèque du mois.» Chaque orphelin a reçu 10 000 $ en plus de 1 000 $ par année passée en institution. L’offre aurait-elle pu être plus élevée? «On leur a fait une première offre et ils l’ont acceptée, rétorque Bernard Landry. Mais elle peut toujours être plus importante que le montant prévu.»

Carlo Tarini, directeur de l’Association des victimes de prêtres, a monté la campagne de lobbying des orphelins. «Il est normal de signer une quittance à la suite d’une indemnisation, explique-t-il. Ce qui est odieux et hors du commun, c’est la clause qui libère les parties impliquées de toute responsabilité. Ça a été négocié à la va-vite.»

Un mal persistant
Malgré les signatures apposées, Me Robert Fauteux, l’initiateur du recours collectif au début de la saga, reçoit des appels d’orphelins toutes les semaines. Devant le fait accompli, l’avocat ne peut que constater l’insatisfaction des indemnisés. «On les a eus à l’usure, dénonce-t-il. À cause de la vieillesse et de la maladie, ils ont succombé. Ils voulaient clore la saga à tout prix.»

Me Robert Fauteux s’est rendu dans les congrégations à travers la province. «Partout où j’allais, on m’a répété la même chose, qu’il fallait comprendre les circonstances de l’époque, dénonce-t-il. Mais encore aujourd’hui, en 2011, l’Église ne s’est jamais excusée. Elle ne prend aucun blâme.» Le 15 septembre 1999, Mgr Pierre Morissette, président de l’Assemblée des évêques du Québec (AECQ), avait confirmé, à la suite de la consultation du dossier par le AECQ, que «l’Église n’entend pas présenter d’excuses à ceux et celles qui s’identifient comme les orphelins et les orphelines de Duplessis, parce qu’un tel geste constituerait un désaveu du travail historique accompli dans des conditions difficiles par les communautés religieuses.» Carlo Tarini s’insurge contre la protection juridique qui suit l’Église comme une auréole sur un saint.

Les orphelins de Duplessis s’éteignent peu à peu. Avec la mort récente de Martin L’écuyer, président du COVA, Lucien Landry compte mener une bataille sans merci face à ses anciens détracteurs pour perpétuer la mémoire des orphelins. «Nous prendrons tous les moyens nécessaires pour arriver à nos fins, prévient-il. Même six pieds sous terre, les orphelins doivent obtenir justice une fois pour toutes.»

***

Reléguée aux oubliettes, la situation des orphelins de Duplessis est une partie sombre de l’histoire du Québec. Nés de femmes non mariées ou provenant d’une famille trop nombreuse, les enfants non désirés se retrouvent dans des crèches dirigées par les communautés religieuses de l’époque. Le gouvernement fédéral octroie près de trois fois plus d’argent pour les enfants de plus de cinq ans. Ainsi, selon une étude conduite en 1999 par Léo-Paul Lauzon et Martin Poirier, de la Chaire d’études socio-économiques de l’UQAM, l’orphelinat de l’Immaculée de Chicoutimi recevait 0,70$ par tête, alors que l’hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu recevait 2,25$ per diem.

Photos Courtoisie: Lucien Landry

Commentaires

Une réponse à “De la camisole à la cour”

  1. Avatar de Diane

    Pourquoi avoir eu Lucien Bouchard sa sœur travaillais à l’orphelinat!!!!!!je suis une enfant de Duplessis quel désastre je suis rendu à 67 ans et toute ma vie est un combat j’ai mon passé en tête et me mets à pleurer il ne faut pas m’en parler et je vais pleurer jusqu’à ma mort .Toute ma vie a été gâchée j’ai une fille et ne suis pas capable de lui dire que je l’aime car je viens avec le mottons dans la gorge est-ce que c’est normal. J’aimerais bien vous voir à notre place nous avons été 8 enfants de notre famille et nous nous connnaisons même pas faute de ne pas avoir eu la chance de se voir Je vais arrêter car trop de mauvais souvenir me vienne en tête et m’arrache le coeur

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