Sur la banquette arrière

Loin d’être l’affaire des granos, le covoiturage fait fureur dans toutes les sphères de la société. Grâce à un nouveau réseau rendu populaire sur Facebook, les membres de la communauté gaie peuvent s’escorter à travers le monde.

Marc Bou Jaoudé, 27 ans, n’a pas de voiture. Son conjoint, oui. Chaque année, le couple part en cavale. Direction: Provincetown, Massachussetts, une destination prisée par la communauté gaie. Leur vie achalandée les empêche toutefois de partager la route du retour. Marc Bou Jaoudé redoute le retour en solitaire: il reste muet durant onze heures, tassé dans un autocar bondé et somnole lors de son passage aux douanes aux petites heures du matin. Puisqu’il refuse de posséder une voiture, il n’a d’autre choix que de subir les ronflements de ses voisins et les cris de jeunes enfants. «Je me suis rendu compte qu’il n’y a pas de covoiturage au niveau international.» Son copain et lui décident donc de créer le site internet DrivePink, le premier service de covoiturage international gay au monde, assure-t-il.

Marc Bou Jaoudé, ingénieur en informatique, veut s’assurer qu’il ne parcourra pas de longues distances aux côtés d’un redneck américain. «On ne sait jamais avec qui on embarque, remarque-t-il. Si je passe plusieurs heures avec une personne, vais-je pouvoir parler de ma vie privée, de mon copain? On ne veut pas créer de malaise; tout le monde n’a pas la même ouverture d’esprit.»

Séduction entre deux haltes

Abonnée à AlloStop et Amigo Express, deux systèmes de covoiturage traditionnels, Ginette Dupuis fait l’essai de DrivePink depuis quelques semaines. Elle assume bien son homosexualité, mais admet tout de même que le service rend le covoiturage moins ambigu. «Si le conducteur est un homme, je sais au moins que je ne me ferai pas achaler, fait-elle remarquer avec humour. Le covoiturage m’arrange, comme je ne veux pas de voiture.» En couple, elle souligne toutefois que le service n’est pas une façon pour elle de faire des rencontres amoureuses.

Pour d’autres usagers de DrivePink, l’expérience peut toujours aller plus loin, voire jusqu’à la banquette arrière. Marc Bou Jaoudé admet ne pas avoir le contrôle sur l’utilisation que les gens feront de DrivePink. «Souvent, la première préoccupation d’un homme gay quand il conduit quelqu’un est de savoir s’il sera intéressant ou non», admet-il.

Malgré tout, le co-fondateur de DrivePink est catégorique: le but de son organisation n’est pas de se trouver une aventure d’un soir. «L’image et la valeur qu’on veut véhiculer n’est pas de vendre le sexe, loin de là.» Malgré le caractère particulier du service, le co-fondateur de DrivePink assure n’avoir reçu aucune plainte d’usagers victimes d’abus ou de harcèlement. Toutefois, il effectue moins de vérifications sur ses conducteurs que certains compétiteurs.

Du côté d’Amigo Express, on exige le numéro de permis de conduire, l’adresse et le numéro de téléphone de tous les usagers. Le président-fondateur de la compagnie, Marc-Olivier Vachon, assure d’ailleurs que, grâce à ses précautions, il n’a jamais reçu de plainte pour harcèlement ou abus sexuels. «Des personnes avec de mauvaises intentions le feraient incognito, assure-t-il. Nous faisons un suivi très serré de tous nos départs et notre but est que chaque abonné se rende à destination.» Marc Bou Jaoudé estime quant à lui qu’il n’est pas là pour «faire la police» dans son organisation. Des recommandations de sécurité sont indiquées sur le site et on demande l’adresse de chacun, sans plus.

Amigo Express a déjà tenté de créer un covoiturage au féminin uniquement, mais l’idée avait été mal reçue par la communauté, explique Marc-Olivier Vachon. «C’est contraire à l’esprit du covoiturage. Le but est de rencontrer des gens différents, sans utiliser un  crémage comme DrivePink.» L’organisation affirme toutefois que les hétérosexuels sont les bienvenus, mais la tolérance est le mot d’ordre.

 

Une nécessité en 2011?

Amigo Express ne voit pas en DrivePink une source de compétition, parce que son service vise un marché spécifique. Au contraire, Marc-Olivier Vachon se réjouit de la popularité du covoiturage qui rejoint à peu près toutes les sphères de la société. «Notre objectif est de démocratiser le covoiturage, soutient-il. Si c’est rendu populaire au point qu’on peut segmenter le marché, tant mieux!» Le président-fondateur pense toutefois que le concept de DrivePink pourrait nuire à la qualité du service. «C’est plutôt une communauté en ligne. Comme beaucoup de sites gratuits, les responsables ne sont pas axés sur le service à la clientèle.»

Danny Kronström, président de l’agence de voyages Touristiquement Gay, salue l’initiative de DrivePink. Il se questionne toutefois quant à la spécificité d’un tel service. «Est-ce qu’il est nécessaire que ce soit aussi ciblé? Personnellement, je prendrais le premier conducteur disponible, peu importe l’orientation sexuelle. De toute façon, je ne pense pas que ce soit un sujet de discussion pendant le trajet.» Professionnellement parlant, il n’écarte pas la possibilité de s’associer avec le système de covoiturage gay. «C’est un service essentiel, mais ce n’est pas tout le monde qui va l’utiliser», prévient Danny Kronström.

Le site Web de DrivePink n’est lancé que depuis le 1er juillet 2011. Pourtant, le couple fondateur voit grand. «Nous voulons acquérir une base solide, partir d’un noyau en Amérique du Nord. Notre but est de desservir le monde entier, lance Marc Bou Jaoudé, ambitieux. Évidemment, ça vient de commencer. Nous nous donnons un an pour nous ajuster, pour faire la promotion du site.» Vu la nouveauté du service, Ginette Dupuis peine à trouver un conducteur qui la conduira à Québec. Pour les abonnés qui, comme elle, n’ont pas encore trouvé voiture à leur siège, le co-fondateur dit ne pas être inquiet. «Les gens doivent être patients!.»

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