Dieu en vitrine

Si la religion s’envole, le patrimoine reste. Depuis quelques décennies, les lieux de culte se battent pour immortaliser l’art préservé au fil des siècles.

Accroché au mur, le portrait de sainte Marguerite d’Youville voit défiler chaque jour des femmes de foi à la chevelure blanche. En marchette. Ou avec une démarche hésitante. Près du brouhaha concordien, un calme apaisant règne au couvent des Sœurs Grises, à Montréal. Sœur Réjeanne Grand’maison connaît chaque statue, chaque tableau de la maison-mère, où elle œuvre depuis la fin de son adolescence. Mais les temps sont durs pour les religieuses. Partout dans la Belle Province, églises et couvents ferment, faute de fidèles. Dès l’automne 2012, les 130 sœurs devront se résigner à déménager à Rosemont, laissant leur patrimoine artistique derrière elles.

«C’est un sacrifice qu’il faut faire, explique sœur Grand’maison avec sérénité. Ça va surtout être dur de laisser notre chapelle.» Avec ses trois autels en marbre blanc, ses vitraux colorés en rosace, ses statues peintes sur verre et ses toiles immenses de la vie de Jésus, ladite chapelle est d’une valeur inestimable. Heureusement, d’autres institutions, religieuses ou non, recueillent les trésors orphelins. «On se fait souvent appeler pour héberger des œuvres, confirme Chantal Turbide, conservatrice de l’Oratoire Saint-Joseph. Mais on ne peut pas tout prendre par manque d’espace.» Dans la région de Québec, plusieurs congrégations se transforment aussi en musées ou en hôtels historiques.
Les Sœurs Grises, quant à elles, lèguent leurs biens culturels à de jeunes adultes. La maison-mère de la rue Guy, à Montréal, abritera les Beaux-Arts de Concordia et quelques résidences universitaires.

L’institution ne pourra pas modifier le couvent, classé bâtiment historique depuis 1976, comme bon lui semble. Sœur Grand’maison se rassure avec la perspective que les œuvres y seront traitées à leur juste valeur. «La chapelle pourrait servir de lieu d’exposition pour les étudiants en art», concède-t-elle. «Plusieurs événements ont lieu dans la chapelle déjà, confirme Christine Mota, porte-parole de l’Université Concordia. Mais il est trop tôt pour prévoir ce que nous ferons.»

«Les religieuses accumulent un patrimoine et sont conscientes de son importance, constate Christine Cheyrou, directrice-conservatrice du Musée des Ursulines depuis 22 ans. Tout cet art est associé à leur dévotion.» Composé de mobilier, d’instruments de musique, mais aussi de peintures confisquées lors de la Révolution française, le musée des Ursulines reflète la mission d’enseignement des religieuses à une époque bien précise. «Nous exposons le patrimoine, mais aussi l’histoire de la communauté, ajoute la directrice. Il s’agit d’une époque particulière, de la formation d’un pays.» Pour sœur Grand’maison, les parcelles d’histoire se retrouvent un peu partout dans son couvent, racontant la vie de sainte Marguerite d’Youville au 18e siècle. «On a gardé tout ce qu’elle possédait, annonce la religieuse avec fierté. On savait qu’elle allait se faire canoniser.» Béatifiée en 1959, la fondatrice des Sœurs Grises a été canonisée par Jean-Paul II en 1990.

La bureaucratie restaurée
Si un lieu catholique est détruit ou utilisé à d’autres fins, des procédures sont entreprises par les instances religieuses pour la disposition en bonne et due forme des œuvres. Chaque archevêché a la responsabilité des églises de sa région. Dans le cas des congrégations, toutefois, la Commission pontificale pour les Biens culturels de l’Église, à Rome, légifère sur les décisions à prendre en ce qui a trait à l’héritage de celles-ci. «Les mesures entreprises sont variables, explique Jocelyn Groulx, directeur du Conseil du patrimoine religieux du Québec (CPRQ). Les œuvres peuvent devenir des bien patrimoniaux, être conservées dans des musées, dans d’autres paroisses. Elles ne sont pas vendues à des particuliers.» Malheureusement pour les collectionneurs, un suivi strict est effectué de la part de la Commission à Rome et des archevêchés pour veiller à ce que l’art religieux reste dans la province.

En vertu de la Loi sur les biens culturels, les instances religieuses peuvent accéder à la restauration de leur patrimoine avec la bénédiction monétaire du ministère de la Culture et du CPRQ. Ce sont eux qui décident quelles œuvres seront restaurées dans l’année et lesquelles auront la priorité. Comme plusieurs lieux de culte à caractère historique, l’Oratoire Saint-Joseph bénéficie des subventions accordées par le CPRQ pour accéder aux services du Centre de conservation du Québec. «L’aide nous permet de restaurer les œuvres importantes, comme le grand orgue Beckerath, construit en 1959. Mais on paie les restaurations artistiques plus modestes nous-mêmes», précise leur conservatrice, Chantal Turbide. Le musée des Ursulines, lui, fait des demandes de restauration depuis 1980. «L’important, c’est de permettre à l’objet de vivre plus longtemps, de le documenter, affirme Christine Cheyrou. Par la suite, nous pouvons le mettre en valeur.» La directrice-conservatrice du Musée des Ursulines estime que la restauration offerte est insuffisante, le CPRQ ne subventionnant qu’une dizaine d’œuvres par année, fresques, statues et orgues inclus. «On a 500 000$ à donner annuellement. Il est sûr qu’on doit faire des choix», tranche Jocelyn Groulx.

La pression s’intensifie pour les institutions qui hébergent les œuvres orphelines. Chaque demande est donc examinée avec précaution, question de voir si elle est en bon état. «En acceptant de prendre une œuvre sous sa responsabilité, il faut avoir les moyens de l’assumer financièrement pour la restauration et avoir assez d’espace pour l’entreposer», fait remarquer la conservatrice de l’Oratoire saint Joseph, Chantal Turbide. Malgré l’immensité du lieu de pèlerinage, les dons ne peuvent être tous acceptés. «Nous priorisons ce qui fait partie de notre vocation, comme la sainte Famille et saint Joseph.»

À l’aube d’un déménagement imminent, les Sœurs Grises gardent le moral. Sœur Grand’maison s’affaire à offrir des tours guidés du couvent comme elle le fait depuis 22 ans. Sur un mur, un poème humoristique qui illustre bien l’optimisme de ces femmes «grisées par la charité». On peut y lire que les religieuses se réjouissent de finir les jours à l’université et non à l’hospice, tout en comparant Dieu au recteur de Concordia.

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