Traîner de la patte

Si la vision romantique d’une balade en calèche dans le Vieux-Port de Montréal est séduisante, les traitements que certains cochers et propriétaires d’écurie réservent à leurs chevaux, eux, en font déchanter plusieurs.

Circulation, travaux routiers, rues fermées… Les automobilistes de Montréal ont déjà bien des ennuis. Pas assez, semble-t-il, puisque les conducteurs du Vieux-Port doivent dorénavant se méfier des chevaux! Carrioles désuètes, bêtes surexploitées, manque d’expérience, intoxication: les plaintes affluent à l’endroit des caléchiers dans le Vieux-Port de Montréal. Craignant pour la santé et la sécurité des chevaux et des passagers, plusieurs associations somment Montréal d’intervenir. Celle-ci tarde cependant à mettre des bâtons dans les roues des caléchiers et des propriétaires délinquants.

«La Ville est la première responsable de la misère des chevaux, déplore Josée Lapointe, cochère professionnelle et présidente de l’Association pour la protection du patrimoine équin en milieu urbain (APPEMU). Les inspecteurs ne sont pas formés pour évaluer décemment la condition de ces animaux et font donc preuve de laxisme.» Selon elle, les inspecteurs sont en réalité des spécialistes en travaux publics et n’examineraient les calèches qu’une fois par semaine ou lors de manquement grave, faute de temps.

La Ville, responsable du tourisme équestre, estime pourtant avoir une réglementation adéquate et rabâche incessamment qu’elle a à cœur le bien-être des touristes et des chevaux. La réglementation stipule, entre autres, que les bêtes n’ont pas le droit d’être attelées plus de neuf heures par jour, ni de circuler lorsque la température excède les 30°C. Les cochers ont également l’obligation de faire voir chaque cheval par un vétérinaire deux fois par année.
Audrey Lapointe, agente de développement et de formation pour Québec à cheval, un organisme qui forme des professionnels du tourisme équestre, dénonce le traitement déplorable que subissent certains chevaux. Parmi les trois écuries présentes sur l’île de Montréal, le propriétaire des calèches Lucky Luc a particulièrement mauvaise presse. Ses chevaux seraient mal entretenus et mal nourris. «Il n’a aucun respect pour les chevaux, s’indigne Audrey Lapointe. Il les entasse dans un bâtiment insalubre et en laisse partir pendant beaucoup plus d’heures que la limite permise avec des calèches en mauvais état sans trop surveiller les cochers». Elle révèle cependant que ces pratiques ne sont pas généralisées dans l’industrie.

«C’est des langues sales! se défend le propriétaire Luc Desparois. Non, on ne dispose pas d’un palace de luxe, mais nos chevaux sont en bonne santé et ont toujours du foin sous le nez.»

Formation boiteuse
Audrey Lapointe croit que le manque de formation des caléchiers est à la source du problème. «Quelques personnes s’improvisent cochers professionnels et la Ville leur attribue tout de même un permis», s’insurge-t-elle. N’importe qui peut ainsi devenir cocher sur un coup de tête pour arrondir ses fins de mois. «J’ai même vu des universitaires sans formation et des toxicomanes circuler en calèche à Montréal», s’indigne l’agente de Québec à cheval. L’arrondissement Ville-Marie assure toutefois qu’il souhaite de limiter le nombre de permis attribués et tente de réduire à 20 seulement le nombre de calèches autorisées à circuler dans le Vieux-Port, depuis 2009. Actuellement, 14 propriétaires y exploitent 30 calèches.

Les organisations déplorent également le manque de préparation des cochers comme guides touristiques. Selon Josée Lapointe, certains d’entre eux ne font pas attention à leur apparence et à celle de leur calèche faisant ainsi péricliter l’image de Montréal auprès des touristes.

Se plaindre dans le vide
Les résidants de l’arrondissement s’indignent, mais le système de gestion des plaintes de la Ville ne permet pas de faire le suivi. «Les plaintes n’aboutissent pas et il n’y a pas de changements significatifs», souligne Audrey Lapointe. Selon la mairie de l’arrondissement Ville-Marie, les inspections ont, au contraire, été renforcées cette année à la suite des plaintes. «D’ailleurs, seulement cinq plaintes de citoyens du Vieux-Montréal ont été enregistrées relativement aux calèches cette année», affirme Anne-Sophie Harrois, chargée de communication à la mairie de l’arrondissement.

La Ville émet très peu de constats d’infraction, mais de toute manière, selon la présidente de l’APPEMU, Josée Lapointe, les caléchiers les contestent souvent et obtiennent gain de cause en remettant en doute les connaissances équestres des inspecteurs. «C’est une perte d’argent et de temps incommensurable! Ça tourne en rond, s’exclame-t-elle. La Ville ne fait rien malgré les propositions de l’APPEMU et de Québec à cheval.». Les policiers interviennent très peu et la Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux (SPCA) ne veut plus s’en mêler depuis que la Ville le lui a retiré le dossier, selon Josée Lapointe. La SPCA n’a pas répondu aux appels et courriels du Montréal Campus.

Pour pallier la situation actuelle, l’APPEMU propose que l’industrie soit gérée par une seule écurie où les normes seraient les mêmes pour tous. Québec à cheval, lui, recommande un encadrement plus rigoureux des inspecteurs et une formation obligatoire avant l’obtention d’un permis. Même si les deux organismes ont tenté à de nombreuses reprises de se faire entendre, la Ville n’a pas encore statué à cet égard. Certains chevaux sont morts à la suite de mauvais traitements de leur cocher. Un d’entre eux a même dû être euthanasié en pleine rue, à Québec, l’année dernière.

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Coalition anti-calèche
Une coalition anti-calèche à Montréal a été mise sur pied par des résidants de l’arrondissement Ville-Marie. Selon la responsable, Mirella Colalillo, les chevaux n’ont pas leur place en milieu urbain. «Des villes comme Paris, Toronto, Londres, Pékin, et bien d’autres ont déjà interdit l’exploitation des chevaux et les touristes ne remarquent même pas leur disparition», martèle-t-elle. Certains touristes lui ont même révélé être surpris de voir cette industrie toujours en fonction dans une ville aussi progressiste que Montréal. De tels mouvements de contestation se font également ressentir dans d’autres métropoles du monde.

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