Folie créatrice

Entre la maladie mentale et une vie souvent passée en marge, ils se heurtaient aux refus des employeurs. Plus maintenant. Nourris par l’art, leurs âmes ont fleuri au milieu de ce qui était autrefois un désert.

Les machines à coudre s’activent, les pinceaux s’agitent dans tous les sens et les métiers à tisser enlacent les fils. Derrière leurs instruments, des dizaines de personnes apprennent les rudiments de l’artisanat à l’organisme L’Atelier, au centre-ville de Montréal. Ces artistes en herbe ont un point commun: la maladie mentale. Ils viennent en ces lieux chercher du réconfort. Et, parfois, une clé pour ouvrir une porte difficile à franchir, celle du marché du travail.

«Je me suis rendu compte que le processus de création me manquait, explique posément une participante, Chantale*. Ici, j’ai vraiment pu mettre le doigt sur le bobo qui m’a nui et démêler ce que je suis et ce que je veux.» Cette ancienne gérante d’un studio de photographie peinait à faire valoir son curriculum vitæ «rempli de trous» à cause des épisodes dépressifs vécus ces dernières années. À 38 ans, elle a décidé de suivre le programme de retour à l’emploi offert par L’Atelier avec un volet artistique, une formation à l’employabilité et un stage en entreprise. Au terme de six mois de cheminement personnel, Chantale a déjà obtenu une entrevue dans une bibliothèque municipale et a bon espoir de voler de nouveau de ses propres ailes.

Son histoire n’est pas unique. L’année dernière, Emploi Québec a subventionné 108 places dans les organismes L’Atelier et le Centre d’apprentissage parallèle (CAP), tous deux spécialisés en réinsertion sociale et professionnelle des personnes atteintes de maladie mentale par le biais des arts. De même, plusieurs hôpitaux et ressources communautaires offrent des activités artistiques au cours du processus de réadaptation. «Il y a toujours eu des liens entre la santé mentale et l’art. De tout temps, les œuvres ont été l’expression d’une certaine folie qui animait les artistes, observe le coordonnateur du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec, Jean-Pierre Ruchon. Aujourd’hui, la thérapie par les arts est populaire au point où on peut parler d’une mode.»

Les vertus de la création
L’art fait souvent office d’étape préliminaire vers la réintégration sociale des personnes souffrant de troubles mentaux. Le premier pas, elles le franchissent en ayant le goût de se lever le matin pour venir exprimer leur créativité. C’est sans compter tous les effets secondaires bénéfiques que ce traitement leur procure: sortie de l’isolement, amélioration de la confiance en soi, développement du sentiment d’accomplissement et stabilisation de l’humeur. «Avec l’art, les participants réalisent qu’ils ont droit de faire des erreurs et qu’ils peuvent les corriger, comme dans la vie, note la professeure de sérigraphie à L’Atelier, Lucie Robert. «D’ailleurs, je ne leur donne les trucs pour enlever les taches qu’à la toute fin de la formation», ajoute-t-elle, avec un sourire de satisfaction. Non seulement l’expression artistique présente plusieurs bienfaits, mais son côté ludique permet de ratisser large. «La méthode rejoint des gens normalement réfractaires à la thérapie et qui préfèrent consulter un “docteur des dessins”, comme certains me surnomment», fait valoir le président de l’Association des art-thérapeutes du Québec, Pierre Plante.

Toutes ces vertus ont inspiré des organismes, des art-thérapeutes et des ergothérapeutes spécialisés dans la réinsertion des personnes atteintes de maladie mentale. Pourquoi ne pas miser sur l’art pour redonner un emploi à ces gens marginalisés sur le marché du travail? «Nous faisons le pari qu’en apprenant des disciplines artistiques, nos participants vont développer un certain nombre d’outils qu’ils pourront appliquer une fois embauchés», estime le directeur général du CAP, Xavier Bonpunt.

De l’efficacité de l’art
Une ombre au tableau: il n’existe aucune donnée démontrant que la réadaptation par les arts soutient directement une personne dans sa réintégration professionnelle. «Il n’y a pas de relation de cause à effet évidente», soutient la chercheuse au centre de recherche Fernand-Séguin de l’hôpital Louis-H. Lafontaine, Catherine Briand. «Par contre, tout ce que quelqu’un développe et découvre sur lui dans sa démarche artistique peut lui servir à se trouver un emploi», se dépêche-t-elle de préciser.

Près de 80 % des gens souffrant de maladie mentale n’arrivent pas à se tailler une place sur le marché du travail, selon Marc Corbière, co-auteur du livre Du trouble mental à l’incapacité au travail. De ce nombre, environ 60 % de ceux qui suivent un programme de réintégration, toutes approches confondues, font mouche. Les méthodes ayant fait leur preuve n’ont rien à voir avec l’expression artistique, d’après le chercheur. Elles sont plutôt basées sur le placement rapide en entreprises suivi d’une formation sur le terrain pour permettre aux gens de se maintenir en poste. «Il reste beaucoup de travail à faire sur le plan de la recherche, admet l’art-thérapeute Pierre Plante. Pour l’efficacité spécifique de la thérapie par l’art, les études sont pour l’instant beaucoup plus dans le qualifiable que dans le quantifiable.»

Toutefois, Catherine Briand reconnaît que les méthodes mixtes, mêlant ateliers de curriculum vitæ, stages et création artistique, fonctionnent. En 2010, sur les 30 participants comme Chantale inscrits au programme de ce genre offert à L’Atelier, cinq se sont trouvé un emploi et quatre sont retournés sur les bancs d’école après six mois d’effort. Au CAP, près de quatre personnes sur dix réussissent à décrocher un poste à la fin d’un parcours de trois ou quatre ans.

«Nos participants vivent souvent avec un cocktail de problèmes et pour certains, la marche est trop haute, se risque le directeur général de L’Atelier, Jean Gauthier, le regard songeur. Quand quelqu’un commence ici, nous espérons bien sûr qu’il soit embauché, mais c’est un souhait qui ressemble à un rêve.» Une fois l’emploi déniché, le grand défi est de le conserver.

Certains réussissent tout de même, grâce entre autres à l’apport bénéfique de l’art, à obtenir des emplois stables bien rémunérés. D’autres se découvrent même une vocation et vivent de leur art. C’est le cas de Clovis, un jeune atteint de schizophrénie devenu graffiteur professionnel au terme de sa réadaptation. «J’encourage les gens à s’exprimer par l’art, témoigne-t-il dans une vidéo mise en ligne par l’hôpital Louis-H. Lafontaine. Ils vont peut-être arriver à mieux se comprendre, à mieux gérer leur vie et combler leurs manques existentiels.»

Malgré tous les succès en insertion professionnelle, les personnes atteintes de maladie mentale se heurtent souvent à des portes closes. «Le milieu de l’emploi n’est pas prêt à les accueillir, croit Lucie Robert de L’Atelier. Il y a plus de travail à faire du côté des employeurs que des malades.» Même son de cloche du côté du CAP. Parmi la vingtaine d’entreprises avec lesquelles l’organisme collabore, la grande majorité est elle-même issue du milieu communautaire, déjà ouvert aux problèmes de santé mentale. Rares sont celles du secteur privé qui consentent à embarquer dans l’aventure. La stigmatisation est souvent de la partie. «La société a bien accepté les handicapés physiques, remarque Xavier Bonpunt. Alors, pourquoi pas ceux qui souffrent psychologiquement?»
*nom fictif

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