Copié, coulé

Révolue l’époque de la feuille de réponses dissimulée dans la manche et du strabisme tactique, l’ère est aux supercheries informatiques. Que l’étudiant moderne sache que, dans la nouvelle arène scolaire, tous les coups sont permis et nul n’est à l’abri.

Semaine d’examens finaux. Un aspirant juriste fouille frénétiquement dans ses papiers. Un apprenti mathématicien s’est assoupi, la tête sur son Calculus. Dans un coin, un étudiant épie ses camarades qui relisent ad nauseam leurs notes de cours. Samuel*, lui, ne les étudie pas, il les falsifie.

Malgré tous ses efforts, Samuel a constaté vers la fin de son cursus en sciences que l’étude seule ne lui permettrait pas de s’imposer. La compétition dans son programme était féroce et les moyennes, trop serrées. Solution? Quelques semaines avant l’obtention de son diplôme, il s’est improvisé faussaire et a remanié les notes de cours avant de les mettre en ligne. Les documents se sont alors transmis comme un virus entre les étudiants en période d’examen, faisant baisser de manière draconienne la moyenne finale. Par un heureux hasard, les notes de Samuel ont été épargnées.

«C’est plus facile qu’on le pense, confie-t-il. Tout le monde cherche des notes, on peut écrire n’importe quoi et personne ne va s’en rendre compte.» Ainsi, à son ultime session, l’étudiant a réduit à néant les efforts de dizaines d’étudiants et s’en est sorti les mains blanches.
En fin de session, cancres et somnoleurs jouent des coudes pour obtenir les résumés de lecture qu’un bon Samaritain aura la grandeur d’âme de mettre en ligne. Nul n’aura idée du nom de son bienfaiteur; merci à l’anonymat virtuel.

«Plus le programme est compétitif, plus il y a de risques que le rapport entre les étudiants soit impersonnel et individualiste, soulève Ronald Morris, professeur en éducation à l’Université McGill. C’est un contexte qui favorise la triche.» Selon l’expert, qui s’intéresse à la dimension éthique du monde universitaire, cela expliquerait en bonne partie la concentration de fraudeurs dans les rangs des programmes fortement contingentés. La fraude fleurit d’autant plus dans les amphithéâtres bondés. «Dans un programme de 600 personnes, on pense plus à la possibilité d’être reconnu et recruté qu’aux conséquences de nos gestes.»

Un contexte qui aurait participé à faire germer le plan de Samuel. «À un certain moment dans nos études, il n’y a plus moyen de se distinguer des autres. Tout le monde étudie autant, tout le monde a de bonnes notes. Mais il faut être au-dessus des autres si on veut pouvoir se trouver un bon job», lance l’ancien étudiant, aujourd’hui diplômé avec mention, aux dépens de ses camarades.

Cette mentalité fait de plus en plus de ravages dans les universités québécoises. Le problème est flagrant au Département d’ingénierie de l’Université McGill. Ce dernier cumule un tiers des dossiers relatifs à la triche, bien qu’il ne regroupe qu’un maigre 7% de la population estudiantine, comme le rapportait The Gazette au début 2000. «C’est un programme très demandant, c’est donc très compétitif», confiait Frank Mucciardi, directeur du Département.

Toutes les facultés du Québec se font un point d’honneur de débusquer les quelques larrons et copistes qui peuplent leurs salles de classe. Aucune par contre n’a encore répertorié de machination plus élaborée, comme celle qui a permis à Samuel d’obtenir ses lauriers. «On a conscience que le problème a évolué», admet Claude Garon, de l’Association générale des étudiants et étudiantes de la faculté permanente de l’Université de Montréal, appelé à l’occasion à défendre des étudiants accusés de plagiat. En effet, la démocratisation du Web a donné de nouvelles armes aux étudiants à la morale discutable. Des moyens qui surpassent aujourd’hui les méthodes de détection archaïques des universités. Compte rendus piratés, travaux et mémoires marchandés en ligne: à l’ère d’Internet, tout s’achète.

«Avant, les étudiants étaient expulsés. Aujourd’hui, la majorité reçoit des blâmes sans conséquences ou sont appelés à des reprises d’examen.» Rien pour effrayer les quelque 40% d’universitaires canadiens qui ont avoué, lors d’une enquête menée en 2008 par l’Université de Colombie-Britannique, avoir déjà triché d’une façon ou d’une autre.

Comme l’exposait une étude dirigée en 2007 par des spécialistes en psychologie de l’éducation à l’Université de Guelph, les établissements d’enseignement supérieurs sont des business dont la mission est de produire des diplômés. Des scandales de triche entre leurs murs nuiraient à leur réputation, tout comme à la valeur de leurs diplômes. Cela pourrait expliquer, selon ces experts, pourquoi on ne voit jamais d’histoires de diplômés déchus et de conspirations universitaires faire la une.

Samuel, diplôme en poche et notes exceptionnelles dans la manche, a vite su se dénicher un poste enviable dans son domaine. À ses yeux, il n’a qu’exploité une faille du système avant qu’un autre le fasse. «C’est une course, on fait ce qu’on peut pour arriver premier», lance-t-il avec détachement.

*Nom fictif

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Big Brother et la correction
Ère informatique oblige, ce sont des systèmes sophistiqués de détection qui veillent aujourd’hui à la diligence des étudiants américains. Le système Turnitin, semblable aux programmes utilisés par les services de renseignement gouvernementaux, compare chaque phrase d’un texte avec une base de donnée regroupant une part imposante des thèses, essais et compte rendus archivés des universités nord-américaines. Toute ressemblance vague d’un texte avec un autre sera détectée.

Victoire pour les universités de nos voisins du Sud? Pas nécessairement. Des associations étudiantes considèrent que l’obligation pour un étudiant de soumettre ses travaux au crible est démesurée et immorale. De plus, l’archivage des textes inspectés pour mettre à jour la base de donnée constitue, selon elles, un viol du droit d’auteur.

Plusieurs étudiants ont d’ailleurs refusé de soumettre leur travaux au système. Prétextant généralement un atteinte à leurs droits et leur intégrité, les universitaires parviennent, dans la majorité des cas, à esquiver l’inspection qui n’a pas de légitimité selon les valeurs fondamentales des universités.

Marché noir pour feuille blanche
Les grandes universités européennes commencent à reconnaître qu’une bonne partie de leurs étudiants font appel aux services de compagnies spécialisées. Plutôt que de se plier à d’épuisantes séances de rédaction, les universitaires forment une clientèle de plus en plus vaste qui peut choisir entre un nombre croissant de revendeurs de travaux sur Internet.

Le prix varie selon la qualité et donc selon le seuil de détectabilité de la supercherie. Des travaux originaux sont aussi offerts au prix fort. De 10 $ par page pour un essai banal, la facture grimpe jusqu’à 3000 $ pour un mémoire de maîtrise étoffé.

La facilité d’accès aux compagnies et leur rapidité d’exécution (huit heures pour un travail de 30 pages) participe à la prolifération du procédé dans les universités.

Illustration : Sophie Chartier

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