Serrer la vis

Photo: Philippe-Vincent Foisy

La création d’une unité de surveillance des mouvements marginaux et anarchistes au sein du Service de police de la Ville de Montréal inquiète certaines associations étudiantes, qui y voient une forme de «profilage politique». Les autorités durcissent-elles le ton envers le mouvement étudiant?

Pendant que certains étudiants protestent de plus en plus bruyamment contre la hausse des frais de scolarité annoncée dans le dernier budget provincial, l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSE) prétend être ciblée par une nouvelle escouade policière qui aurait pour mandat de mater la contestation étudiante. Une accusation que réfute le Service de police de la ville de Montréal (SPVM).

Ce sont les arrestations de six leaders du mouvement étudiant, survenues cet été, qui ont mis le feu aux poudres. Les étudiants ont été arrêtés pour des gestes posés lors de l’occupation des bureaux du ministre des Finances et des bureaux de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ) en mars dernier. Les six individus font l’objet de plusieurs chefs d’accusation, dont complot et prise de possession d’un lieu par la force. Lors du rassemblement du 31 mars, alors que des étudiants étaient entrés par effraction dans les bureaux de la CREPUQ, une employée de l’immeuble s’était fracturé le bras dans des circonstances nébuleuses.

Ces arrestations ont été effectuées à la suite d’une enquête du Guet des activités et des mouvements marginaux et anarchistes (GAMMA). Cette escouade rattachée à la section du crime organisé du SPVM a été créée en janvier dernier. Celle-ci enquête notamment sur l’implication possible des mouvements anarchistes lors de ces manifestations. L’ASSE dénonce toutefois que les arrestations aient eu lieu au domicile des accusés, plusieurs mois après les deux coups d’éclat, ce qui est exceptionnel, selon eux.

Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de l’ASSE, explique que les six accusés ont été relâchés sous promesse de comparaître après avoir été interrogés par les policiers. L’avocat et professeur de droit Frédéric Bérard se questionne au sujet de ces arrestations. «Ça arrive assez fréquemment que les chefs d’accusation soient déposés assez longtemps après les faits. Par contre, aller arrêter les accusés à leur domicile, ça m’apparaît assez excessif, surtout qu’ils ne représentent pas un danger pour la société. Il aurait été plus normal de leur faire part d’un avis d’accusations et de les sommer de comparaître. J’ai du mal à comprendre pourquoi ils n’ont pas été arrêtés sur les lieux.»

L’association a donc porté plainte à la Commission des droits de la personne du Québec contre le SPVM pour ce qu’elle appelle du «profilage politique», un type de discrimination qui brimerait la liberté d’opinion politique des citoyens. «Le nom lui-même de GAMMA démontre une discrimination politique, estime Gabriel Nadeau-Dubois. Ce nom indique que les policiers utiliseront certaines méthodescontre certains groupes ciblés.»

Du côté du SPVM, on se défend de vouloir discriminer le mouvement étudiant. Sylvain Lemay, inspecteur-chef à la division de la planification opérationnelle et spécialiste des manifestations, explique que les méthodes d’enquête du SPVM n’ont pas changé, même avec l’arrivée de GAMMA. «Ce qu’on vise, c’est l’acte et non pas l’organisme. Il faut regarder quels sont les messages qui sont diffusés à même les associations. Si les responsables veulent qu’il y ait de la casse, les résultats seront à l’image de ce qu’ils ont véhiculé comme message.» Et GAMMA n’a pas frappé que dans le mouvement étudiant, rappelle Sylvain Lemay. Une enquête de l’escouade avait permis l’arrestation de trois personnes à la suite d’une manifestation anticapitaliste à Montréal, le 1er mai dernier.

Durcissement de ton
Si l’ASSE admet qu’elle est plus prompte que d’autres associations à utiliser la force, Gabriel Nadeau-Dubois est catégorique: les forces de l’ordre sont plus dures qu’auparavant lors de manifestations étudiantes. «Nos actions ne sont pas plus dérangeantes qu’avant. Occuper symboliquement un bureau qui est sensé nous appartenir a toujours été fait.» Toutefois, selon l’avocat Frédéric Bérard, les policiers étaient en droit d’intervenir lors de l’occupation des bureaux de la CREPUQ. «À première vue, ça me semble évident qu’il n’y a pas de sit-in possible dans ces lieux. Si les manifestants s’en étaient tenus au trottoir devant l’immeuble, il n’y aurait pas eu de problème.»

Gabriel Nadeau-Dubois souligne que de telles actions n’avaient jamais donné lieu à une réaction semblable du SPVM. En effet, le 13 mars 2008, des étudiants en grève de l’UQAM avaient forcé une porte du pavillon Athanase-David afin de protester contre une réunion de la Commission des études qui voulait exiger la reprise des cours. L’occupation du pavillon, qui avait duré trois heures, avait été ponctuée par des actes de vandalisme et des vols de matériel. Ces événements n’avaient pourtant conduit à aucune accusation.

Pascale Dufour, professeure de sciences politiques à l’Université de Montréal, qui se spécialise dans les mouvements sociaux et l’action collective, ne croit pas que les accusations de l’ASSE soient sans fondement. «Depuis 2001, dans les pays occidentaux, il y a effectivement une criminalisation de la contestation. Mais je ne pense pas que les lois ou leur application aient changé. Au Canada, le droit à la manifestation n’est pas inscrit dans la Charte des droits alors que c’est le cas ailleurs.» Le fiscaliste du droit, Frédéric Bérard, ajoute que, même s’il n’est pas écrit noir sur blanc, le droit à la manifestation demeure partie intégrante de la liberté d’expression. «Il y a aussi l’article 2c de la loi constitutionnelle de 1982 qui garantit le droit de réunion pacifique, mais les tribunaux n’ont jamais apporté de précisions sur ce point.»

Selon Pascale Dufour, ce flou législatif profite aux policiers puisqu’ils jouissent d’une très grande marge de manœuvre lors de manifestations. «Les policiers peuvent arrêter tout mouvement qui trouble l’ordre public. C’est un pouvoir discrétionnaire énorme. Même si la manifestation a obtenu l’aval des pouvoirs publics, les policiers ont le droit d’intervenir pour y mettre fin à tout moment.» Frédéric Bérard confirme que la notion de troubler l’ordre public est inscrite au Code criminel, mais que c’est un concept qui reste un peu vague. «C’est une question de gros bon sens, explique-t-il. Si je lance une roche dans une vitrine ou que je tabasse quelqu’un, je trouble l’ordre public. Par contre, si je scande un slogan dans la rue, même avec un porte-voix, c’est légal.»

La force, plus efficace?
Selon l’ASSE, l’usage de la force est un mal nécessaire et seuls les mouvements qui ont osé hausser le ton ont obtenu des gains. L’inspecteur-chef Sylvain Lemay est d’un tout autre avis. «Les manifestants vont avoir beaucoup plus de succès en demandant de manière paisible. Quand on est intelligent et qu’on manifeste de façon pacifique en faisant valoir nos droits, ça attire la sympathie du public.»

Selon Pascale Dufour, l’action directe a une efficacité souvent immédiate et peut entraîner des changements rapides. Une action de lobbying, par contre, s’articule sur le long terme. Par ailleurs, le statut d’étudiant étant éphémère, il peut être difficile d’échelonner une stratégie sur plusieurs années pour les associations étudiantes, qui voient leurs effectifs se transformer constamment.

Quant à savoir quel est l’avenir de la contestation citoyenne, la professeure de sciences politiques Pascale Dufour explique que les changements majeurs ne se font pas seuls. «Un gouvernement ne change pas de direction si personne ne conteste. Il y a un rapport de force à exploiter. Les groupes radicaux ont leur rôle à jouer là-dedans, qu’on le veuille ou pas. Les actions des groupes plus radicaux forcent les groupes de lobbying à prendre position.»

Malgré la rentrée qui approche et la promesse d’une contestation d’envergure à l’automne, l’ASSE compte poursuivre ses démarches contre le SPVM. L’Association envisage d’autres recours judiciaires devant les tribunaux.

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